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Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 23 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du centre d'expérimentation du pacifique en polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

C'est un devoir et un honneur pour l'IRSN de répondre aux demandes de la représentation nationale, notamment dans le cadre d'une commission d'enquête. Je me présente devant vous entouré de ses meilleurs spécialistes.

L'IRSN est l'expert national de l'évaluation du risque nucléaire et radiologique. Son expertise couvre d'abord la sûreté nucléaire, qui vise à éviter les accidents et à en traiter les conséquences si malheureusement ils surviennent. Elle couvre ensuite la protection contre les effets néfastes des rayonnements ionisants, tant pour les personnes – le public exposé à la radioactivité naturelle ou aux conséquences d'accidents, les patients faisant l'objet de la délivrance de doses radioactives pour des raisons diagnostiques ou thérapeutiques et les 400 000 travailleurs concernés, relevant pour la plupart du secteur médical – que pour l'environnement. Elle couvre, enfin, la sécurité nucléaire, qui consiste à parer les actes de malveillance et de terrorisme.

Pour l'IRSN, l'évaluation des risques dans ces divers champs relève de deux grands métiers.

Le premier est l'expertise. L'IRSN est un organisme scientifique et technique qui adresse des avis scientifiques et techniques à un large spectre d'institutions dans le cadre de processus de décision, notamment l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le Parlement, les ministères de la santé, de l'environnement, du travail, de l'intérieur et des affaires étrangères – le dossier de la situation actuelle de l'Ukraine se trouvant sur le haut de la pile. L'expertise consiste aussi à mener des activités de surveillance de l'environnement et des personnes. L'IRSN a notamment la responsabilité de suivre, conformément aux dispositions du code du travail, les doses reçues par les travailleurs.

Le second est la recherche, qui vise à améliorer les connaissances qui nous sont nécessaires, recherche et expertise s'alimentant mutuellement.

L'IRSN emploie 1 800 personnes. Il s'agit d'ingénieurs, de chercheurs, de techniciens, de médecins et de vétérinaires, tous de très haut niveau.

Le 1er janvier 2025, en application de la loi qui vient d'être promulguée, l'IRSN sera séparée en trois parties. La plus importante, avec 1 600 personnes, fusionnera avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour devenir l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), laquelle a vocation à poursuivre les activités de l'IRSN qui ne seront pas confiées aux deux autres parties, notamment l'évaluation des impacts environnementaux et sanitaires de la radioactivité – soit précisément ceux que nous évoquons aujourd'hui.

Je commencerai par un bref rappel à propos des essais nucléaires, afin de donner un cadre à nos observations, que nous avons centrées sur l'évaluation des impacts environnementaux et sanitaires de ces essais. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a élaboré en 2001 un rapport intitulé Les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 et éléments de comparaison avec les essais des autres puissances nucléaires.

Se fondant notamment sur un rapport publié en 2000 par le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear) – Dominique Laurier, qui en est membre et participait cette semaine à la réunion de cette institution, est rentré de New York spécialement pour cette audition –, l'Opecst recense 543 essais nucléaires atmosphériques. La plupart ont été réalisés par l'URSS et les États-Unis, avec 219 tirs chacun, tandis que la France en a effectué 50, dont 46 en Polynésie, parmi lesquels 5 tirs dits « de sécurité ».

Les retombées des essais atmosphériques peuvent atteindre quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres pour les particules les plus grosses. Les particules projetées dans la troposphère, à une altitude de 10 à 20 kilomètres, peuvent mettre jusqu'à trente jours pour se déposer, dans un rayon de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Quant à celles qui sont projetées dans la stratosphère, à une altitude allant jusqu'à 50 kilomètres, des phénomènes d'homogénéisation donnent lieu à des retombées planétaires pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, composées de radionucléides à vie moyenne et longue.

J'en viens à l'impact des essais nucléaires sur l'environnement et, éventuellement, sur les personnes. Dans le cadre de sa mission de surveillance, l'IRSN assure, depuis sa création en 2002, la surveillance de l'état radiologique de l'environnement de la Polynésie française, à l'exception des sites de Moruroa et de Fangataufa, qui relèvent du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), grâce au Lese, le laboratoire dont elle dispose sur place. Auparavant, cette surveillance était assurée par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dès 1962, deux ans avant les premiers essais atmosphériques français.

La surveillance de l'environnement consiste à prélever régulièrement des échantillons – environ 200 par an – dans l'air, dans l'eau, dans le sol et dans les denrées alimentaires, et à en mesurer la radioactivité, qu'elle soit d'origine naturelle ou artificielle. Initialement, cette surveillance était réalisée dans le cadre du réseau mondial français de surveillance radiologique, créé à l'époque des essais atmosphériques d'armes nucléaires effectués par la France dans le Pacifique. Ce réseau incluait, à sa création, plusieurs pays des hémisphères Nord et Sud et des territoires d'outre-mer. Ces mesures ont permis de surveiller notamment les retombées des essais atmosphériques réalisés par la France en Polynésie française de 1966 à 1974.

Après les derniers tirs, la couverture du réseau a été régulièrement réduite, pour se limiter en 1998 à sept îles situées dans les cinq archipels de la Polynésie française. Après une diminution régulière des niveaux de radioactivité depuis l'arrêt des essais atmosphériques français en 1974 et chinois en 1980 – ces derniers, réalisés dans l'hémisphère Nord, ont eu des retombées stratosphériques dans l'hémisphère Sud –, l'état radiologique constaté depuis plusieurs années en Polynésie française est stable et se situe à un niveau très bas.

Cette radioactivité résiduelle est essentiellement attribuable au césium 137 et aux isotopes du plutonium. Depuis plus de dix ans, la dose efficace annuelle ajoutée par la radioactivité résiduelle d'origine artificielle est inférieure à trois microsieverts par an, soit moins de 0,2 % de la dose associée à la radioactivité naturelle en Polynésie, qui est de 1 400 microsieverts par an. Ce chiffre ne tient pas compte des examens médicaux et ne porte que sur la radioactivité liée à l'environnement et à l'alimentation.

Jusqu'en 2017, les résultats de cette surveillance étaient synthétisés dans des rapports publiés annuellement. Depuis lors, ces rapports sont publiés tous les deux ans, en raison de la diminution du niveau de radioactivité, et périodiquement transmis à l'Unscear. Tous les rapports de surveillance de l'IRSN sur la Polynésie française sont disponibles sur le site internet de l'IRSN.

Outre cette surveillance régulière, le Lese effectue des études et des recherches ponctuelles sur l'évolution des niveaux de radioactivité dans les compartiments spécifiques de l'environnement, comme le sol ou les organismes marins. Le Lese a été mobilisé en 2011 et dans les années suivantes pour faire des mesures de radioactivité dans l'environnement après l'accident de Fukushima.

Des experts de l'IRSN ont participé ou participent encore aux travaux d'instances de l'État traitant des conséquences des essais nucléaires. La Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) est composée de personnalités scientifiques, de représentants des ministères de la défense, de la santé, de l'outre-mer, des affaires étrangères, du gouvernement et de l'assemblée de la Polynésie française, de parlementaires, d'associations de victimes des essais nucléaires et d'un expert de l'IRSN.

Jusqu'au début de cette année, l'IRSN a été membre du conseil scientifique de l'Observatoire de la santé des vétérans (OSV), que présidait Dominique Laurier et qui a cessé son activité. Nous sommes également représentés à la Commission d'information auprès des anciens sites d'expérimentations nucléaires du Pacifique, devant laquelle le responsable du Lese présente chaque année les résultats de la surveillance de la radioactivité.

En raison de sa capacité d'expertise en matière d'effets de la radioactivité sur les personnes et l'environnement, l'IRSN est régulièrement sollicitée par des autorités sur des points spécifiques concernant les conséquences dosimétriques et sanitaires des essais nucléaires en Polynésie.

En 2017, la direction générale de la santé (DGS) nous a interrogés sur l'état de la base des connaissances scientifiques sur les maladies radio-induites dans le cadre des essais nucléaires français, afin de disposer d'une analyse sur la liste initiale de dix-sept cancers fixée par le décret du 25 juin 2010. Cette liste a été complétée et comporte désormais vingt et-une maladies susceptibles d'être induites par les rayonnements ionisants.

En 2019, en réponse à une demande du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), l'IRSN a estimé les doses efficaces annuelles, pour les adultes et les enfants, liées aux retombées globales des essais atmosphériques d'armes nucléaires potentiellement reçues par les populations résidentes aux îles Gambier, à Tureia et dans quatre communes de Tahiti de 1975 à 1981.

En mars 2021, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié son rapport d'expertise, auquel l'IRSN a contribué. La DGS nous a interrogés sur la possibilité d'effectuer des travaux afin de répondre à deux recommandations du rapport : affiner les estimations de doses reçues par les populations locales et par les personnels civils et militaires, en particulier via l'accès à l'ensemble des mesures de surveillance radiologique environnementale et des mesures d'exposition et de contamination effectuées sur les personnels ayant travaillé sur les sites d'expérimentation nucléaire ; réaliser une veille attentive et rigoureuse de la littérature scientifique internationale sur la problématique des effets des faibles doses de rayonnements ionisants, en particulier pour certains cancers à ce jour non reconnus par les instances internationales comme pouvant être radio-induits, les maladies cardio-vasculaires et les effets sur la descendance. Cette demande a amené l'IRSN à effectuer, notamment au printemps 2021, des travaux préliminaires d'évaluation des doses à partir des mesures réalisées après l'essai Centaure selon une méthode différente de celle utilisée par le CEA et par Disclose.

En juin 2021, la DGS a demandé à l'IRSN de contribuer à la table ronde du 2 juillet qu'elle coordonnait sur le thème « Polynésie française : enjeux sanitaires ». L'IRSN a fait trois présentations relatives à la liste des maladies radio-induites, aux effets des faibles doses de rayonnements ionisants sur la santé et aux effets héritables des rayonnements ionisants sur la santé.

En 2022, le président du Civen a demandé à l'IRSN son éclairage sur la question de la dosimétrie en 1974, en partie dans les îles de la Société à la suite de l'essai Centaure. Nous avons présenté les résultats de l'analyse préliminaire précitée.

À l'heure actuelle, l'IRSN maintient son activité de veille scientifique sur les effets des faibles doses de rayonnements ionisants pour les cancers, les maladies cardio-vasculaires et les effets sur la descendance, et contribue aux travaux d'expertise menés sur ces sujets aux échelons international et européen, notamment dans le cadre de l'Unscear et de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), qui donne le « la » en matière de radioprotection – Dominique Laurier est membre de sa commission principale.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et compléterons nos réponses par écrit. Nous avons d'ailleurs déjà rédigé un rapport à la demande d'une précédente commission d'enquête consacrée à la sécurité nucléaire.

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