Madame Vernaudon, je m'associe aux remerciements de mon collègue Jean-Paul Lecoq pour la franchise de votre expression. Il est évident que vous accordez un intérêt primordial à la Polynésie. Vos réflexions, propositions et interventions visent clairement le mieux-être de cette région, ce qui force le respect, surtout pour une commission d'enquête basée à Paris, composée principalement de députés de l'Hexagone. Cela nous oblige à une certaine humilité et à une compréhension des espaces respectifs de pouvoir et de légitimité en cette matière. Votre intervention est utile non seulement pour la Polynésie, mais également à une échelle plus large. Par exemple, dans votre interview, vous évoquez Benjamin Stora, ce qui indique clairement que vous avez réfléchi à la manière de faire la paix des mémoires, une notion que j'apprécie particulièrement et qui est bénéfique pour tous.
Ma première question pourrait sembler à contre-courant de votre discours. Si je comprends bien, vous suggérez que nous surinvestissons peut-être la question des archives, en pensant y trouver quelque chose qui n'y est pas. Cela affaiblit l'importance de ma question initiale, qui portait sur le nombre de chercheurs et chercheuses habilités au secret défense et sur les modalités pour obtenir cette habilitation. Vous avez mentionné la grande difficulté que vous avez-vous-même rencontrée, allant jusqu'à la renonciation à obtenir cette habilitation. Or le fait que des chercheurs abandonnent les démarches d'habilitation représente un frein sérieux. Dispose-t-on de données sur les refus d'habilitation ? Existe-t-il des contentieux avec la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) à ce sujet ? La Cada exerce-t-elle un rôle dans l'accès aux archives sur les essais nucléaires et le secret défense ?
Par ailleurs, vous nous dites que, concernant les effets sanitaires, on doit se contenter de constater les faits, qui seront absents des archives. Bien que nous ne puissions que souscrire à vos propos, sur le plan du raisonnement juridique, on sort alors de la logique traditionnelle en matière de responsabilité civile dans notre pays. En effet, selon l'article 1240 du code civil, c'est le fait de l'homme qui cause un dommage et qui oblige celui-ci à le réparer. Ainsi, on pourrait admettre qu'il n'est pas nécessaire de rechercher des fautes, que celles-ci sont de toute façon inexistantes et que ce que l'on trouvera dans les archives se bornera à l'étendue du risque pris. On pourrait même décider de faire totalement abstraction de la question de la faute en affirmant que tout cela n'est que fait, et non faute, quand le simple fait implique l'obligation d'indemnisation ou de réparation. Or votre position semble indiquer qu'il n'est même pas nécessaire d'examiner le fait lui-même dans ses détails et que l'on part du dommage pour en inférer le dédommagement. Cette approche est très audacieuse sur le plan de la réflexion juridique. Peut-être est-ce qu'il faut suivre pour apporter une réponse politique. Pourriez-vous éclaircir ce point ?