Monsieur le Président, Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les membres de la commission d'enquête, je tiens à exprimer ma gratitude pour l'opportunité qui m'est offerte d'intervenir. Cette commission d'enquête représente pour moi une occasion rare et précieuse et je me sens honorée et privilégiée de pouvoir y contribuer dès son lancement. Mon objectif est de faire évoluer la réflexion afin de passer d'une logique de jugement à une logique de compréhension.
En ce qui me concerne, je suis née à Papeete en 1963. J'y ai été scolarisée jusqu'au baccalauréat en 1980. Par la suite, j'ai poursuivi mes études dans l'Hexagone et suis diplômée de l'École nationale supérieure d'agronomie de Toulouse (ENSAT). En d'autres termes, je suis ingénieure agronome de formation et je sers mon pays au sein du service public depuis 1988. J'ai exercé diverses fonctions, soit comme chargée de mission, soit comme cheffe de service dans les domaines de l'environnement, de l'aménagement du territoire, de l'égalité des territoires, du développement rural, du développement des archipels et de la refonte du service public. Je souhaite signaler que j'ai aussi été cheffe de l'inspection générale du pays de 2006 à 2014. Depuis 2017, je suis à la tête de la DSCEN. J'ai été nommée à la suite de M. Bruno Barillot, décédé le 25 mars de cette même année. J'ai hérité de sa feuille de route, qu'il avait proposée en décembre 2016 au gouvernement de l'époque, présidé par M. Fritch.
Celle-ci s'inscrit dans un cadre gouvernemental définissant le rôle et les missions de la délégation. La DSCEN est un service de mission, positionné au niveau de l'administration centrale, chargé de proposer une politique publique sur le fait nucléaire. Une fois ces orientations politiques validées, la DSCEN coordonne et anime leur mise en œuvre. La délégation, comme son nom l'indique, n'est pas directement opérationnelle mais s'appuie sur différentes institutions qui, elles, le sont. Ses principales fonctions consistent à agir en tant que secrétariat général scientifique et technique d'une commission administrative locale, qui a longtemps été le Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires, aujourd'hui inactif. Depuis sa création, ses missions incluent la mise en place d'un centre de mémoire et le rôle d'interlocuteur des représentants de l'État sur ce sujet.
Pour suivre les conséquences des essais nucléaires, il est impératif de les mesurer et de les connaître. Ce qui nous renvoie à votre première question, car il nous faut d'abord comprendre les tenants et aboutissants de la gigantesque entreprise qu'a été la conduite de ces essais. Avant même les premiers tirs de bombes expérimentales, un chantier phénoménal a été déployé, affectant en premier lieu la ville de Papeete, mais aussi les atolls de Moruroa et de Fangataufa, ainsi que plusieurs pôles « secondaires » – sur le plan de l'organisation – comme les Gambier ou Hao. C'est une histoire indéniablement complexe. Mon constat est qu'actuellement, les avis tranchés sur les conséquences de ces essais pullulent, avant même que soient réalisées les études et enquêtes épidémiologiques à même de déterminer la réalité de ces conséquences, notamment sanitaires. Depuis que j'occupe ma fonction, il nous est apparu essentiel de consolider la connaissance de l'histoire du CEP. C'est pourquoi dès 2018, nous avons passé une convention avec la Maison des Sciences de l'Homme du Pacifique afin de mieux comprendre cette histoire, tout en engageant un travail mémoriel pour compléter les recueils de mémoire. À travers de cette convention, le pays s'est engagé à entreprendre toutes les démarches nécessaires pour améliorer l'accessibilité des archives. C'est notamment grâce à ces travaux et à ces échanges qu'une proposition nous a été faite, lors de la table ronde en juillet 2021, d'opérer un tri systématique des archives relatives au nucléaire. Ce processus est toujours en cours actuellement. La principale difficulté que je rencontre dans l'exercice de cette mission tient à un déficit chronique de pilotage stratégique. C'est un sujet de fond, car force est de constater que les interventions des politiques publiques et des décideurs, à tous les niveaux, surviennent après ou au moment d'une crise, mais qu'aucune stratégie claire n'a été établie sur ce sujet. C'est à mon sens le principal écueil.