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Intervention de Katy Lemoigne

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 16h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Katy Lemoigne, coprésidente de la commission « Enfances, familles, jeunesses » de l'Uniopss :

Je vais aborder les différents points que vous avez soulevés, notamment les mesures en attente d'exécution et l'emploi intérimaire.

Premièrement, nous avons créé l'urgence actuelle par un manque de politiques de prévention et de prospective. Si nous ne sommes pas en mesure d'anticiper à cinq ans ce qui va se passer, nous restons constamment dans l'urgence. C'est ce que vous avez mentionné en introduction. Cette situation représente une véritable difficulté. Par urgence, j'entends des placements non effectifs et des mesures judiciaires de milieu ouvert non exécutées, ce qui a mis sous pression les conseils départementaux, responsables en tant que chefs de file, et les a contraints à trouver des solutions.

À partir de là, quelle est la réponse la plus agile en matière d'emploi si l'on veut répondre rapidement à cette difficulté et augmenter les effectifs ? C'est l'intérim. Une niche s'est ainsi créée, et le groupe Domino RH s'y est largement infiltré en affirmant : « Nous, Domino, avons la capacité de vous décharger de cette responsabilité, car en quinze jours, nous pouvons mettre en place une maison d'enfants à caractère éphémère ». Cependant, l'éphémère en protection de l'enfance est tout sauf viable. Nous avons besoin de permanence et de continuité. Or, dès leur arrivée sur les territoires, cela a été extrêmement compliqué. Comment parviennent-ils à mettre en place une maison d'enfant à caractère social (Mecs) en quinze jours ? Parce qu'ils louent des bâtiments initialement destinés à du locatif pour les vacances, par exemple des maisons à la campagne. Cela ne prend absolument pas en compte la territorialisation des enfants, c'est-à-dire leur lieu de vie, la proximité avec leurs parents et les droits de visite et d'hébergement. Rien n'est pensé en ce sens.

Il est impératif de maintenir la diversification de l'offre en protection de l'enfance. Quand nous orientons un enfant vers un placement familial, c'est parce que nous avons jugé que cela permettrait à l'enfant de se développer au sein d'une famille d'accueil. De la même manière, si nous choisissons de le diriger vers une Mecs, la décision est mûrement réfléchie. Il est essentiel de cesser de considérer les placements comme de simples places à pourvoir et de penser que les départements gèrent des flux et des stocks avec les associations. Tant que cette mentalité persistera, nous n'atteindrons pas nos objectifs. Aujourd'hui, notre capacité à orienter les enfants vers la place qui leur convient repose sur la réponse à leurs besoins fondamentaux.

J'en viens à la question de Mme la rapporteure sur la durée depuis laquelle nous avons recours à l'intérim. Il y a quelques années, nous y avions recours de manière extrêmement ponctuelle, notamment lorsque nous avions un creux et qu'un professionnel que nous souhaitions embaucher en contrat à durée indéterminée (CDI) n'était disponible qu'à une certaine période. En attendant, nous avions besoin de quelqu'un et, faute de CDD disponible, nous faisions appel à l'intérim. Cette pratique était alors quasi inexistante dans le secteur. Aujourd'hui, nous en sommes même arrivés à remplacer les personnes partant en formation par des intérimaires, faute de vivier de CDD. Il est donc pertinent d'examiner l'objet de l'intérim.

Parcoursup constitue un problème majeur : 30 % des jeunes abandonnent leur cursus dès le premier trimestre, puis à nouveau 30 % à la fin. Cette situation découle d'orientations par défaut. En effet, ces jeunes, faute d'avoir été retenus dans les filières qu'ils souhaitaient, s'inscrivent sur Parcoursup pour ne pas perdre une année. Ils se retrouvent alors dans des écoles d'éducation spécialisée sans conviction. Or ce domaine requiert un degré de maturité important pour établir des relations et faire preuve d'altérité. S'occuper de personnes vulnérables est un métier qui s'apprend et qui doit être valorisé. Ce n'est pas du bénévolat. Aujourd'hui, le travail social est souvent perçu comme une vocation. On me dit fréquemment : « Madame Lemoigne, réenchantez le secteur et continuez de parler de vocation », mais je dis : « Stop ». Ce métier est un métier à part entière. Il faut trois ans pour devenir éducateur spécialisé, soit l'équivalent d'une licence. Les salaires actuels, comme l'a mentionné M. Goldberg, sont honteux. Il est inadmissible de prétendre s'occuper de personnes vulnérables lorsque nos professionnels sont eux-mêmes vulnérables. Nous devons nous ressaisir collectivement sur cette question. Les CPOM doivent inclure des lignes budgétaires permettant de prendre des apprentis et de gratifier les stages. Actuellement, la majorité de nos CPOM n'inclut pas cette capacité de financement. Cette situation contribue à la dégradation du secteur.

Pourquoi les professionnels désertent-ils aujourd'hui ? Nous avons évoqué Parcoursup, le manque de prévention et le sens de l'action. Lorsque nos professionnels perdent le sens de l'action sociale, ils ne peuvent plus retrouver la motivation nécessaire. Imaginez-vous seul avec un groupe de douze jeunes, dont certains ne correspondent pas à l'habilitation délivrée. On vous demande de les encadrer, de leur faire pratiquer des activités sportives le week-end, de les accompagner à leurs diverses activités, tout cela alors que les coûts de transport sont prohibitifs et que vous ne pouvez pas recourir aux taxis. Comment est-ce possible ?

Je forme des étudiants en certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement ou de service d'intervention sociale (Cafdes) dans une école de travail social d'Askoria depuis cinq ans. Les futurs directeurs et directeurs généraux me disent qu'ils n'iront pas travailler dans la protection de l'enfance. Leur décision est mûrement réfléchie. Pourquoi ? La responsabilité pénale est trop lourde, la charge de travail est écrasante et ils ne peuvent pas faire face à l'urgence permanente. La protection de l'enfance est devenue une machine à laver pour les cadres, où tout tourne beaucoup trop vite.

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