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Intervention de Katy Lemoigne

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 16h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Katy Lemoigne, coprésidente de la commission « Enfances, familles, jeunesses » de l'Uniopss :

Un premier pilier à aborder a trait à l'augmentation continue du nombre d'enfants et de jeunes à protéger depuis des décennies. Cela démontre à la fois une évaluation beaucoup plus fine de la situation et une meilleure capacité à identifier les enfants en danger ou à risque. Cependant, cela peut aussi indiquer une aggravation des situations familiales, se traduisant par une grande précarisation des familles concernées et une difficulté accrue à les accompagner, surtout face à la faiblesse des politiques de prévention. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

L'Uniopss réaffirme ici l'universalité des droits de l'enfant et de la protection de l'enfance. Nous dénonçons également les discours qui font des mineurs non accompagnés (MNA) les responsables de la crise actuelle. Deux points essentiels doivent être entendus. Les enfants en danger ou à risque doivent être traités en fonction de leurs besoins de développement et non de leur statut. Il est impératif d'adopter un regard humain sur cette question. Les données publiques confirment l'augmentation du nombre d'enfants et de jeunes à protéger, mais en excluant les MNA. Cela signifie que les MNA ne sont pas la cause de l'embolisation du système.

L'enjeu principal est de réduire le nombre d'enfants en danger ou à risque sur le territoire national. Pour y parvenir, plusieurs leviers sont nécessaires. Voici ce que l'Uniopss propose : renforcer les politiques de lutte contre les violences, y compris les violences sexuelles dont sont victimes les enfants, et renforcer les actions de soutien aux parents. De nombreux dispositifs d'accompagnement collectif et individuel sont en danger, faute de financements suffisants des collectivités territoriales. Il faut également accorder une place centrale aux enfants protégés en situation de handicap dans le cadre du plan « 50 000 solutions ». Des solutions multiples doivent être garanties, allant des plus légères aux plus intensives, afin de favoriser la diversification plutôt que l'homogénéisation ou la généralisation. Souvent, lorsque des trésors d'inventivité émergent sur certains territoires, une tendance à vouloir généraliser se manifeste. Or la réponse à un besoin est parfois singulière à un territoire et ne doit pas nécessairement être généralisée partout. Rétablir la prévention spécialisée dans tous les départements constitue un arbitrage nécessaire. Il est impératif de mettre en œuvre de nombreuses recommandations issues des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, notamment le renforcement du nombre de professionnels de santé et des actions spécifiques à mener auprès des publics les plus en difficulté. Il est également essentiel de conduire une véritable politique de lutte contre la pauvreté des familles. La pauvreté, le mal-logement et les difficultés d'accès aux soins peuvent exacerber les problèmes éducatifs. Confier un enfant à une institution alors qu'il pourrait vivre dans une famille aimante, mais sans toit, est inacceptable.

En ce qui concerne les financements, ceux-ci ne correspondent pas aux besoins des enfants et des jeunes majeurs à protéger. Il est souvent mal vu de parler de finances, car c'est une question délicate et on nous rappelle souvent que les finances publiques ne sont pas un tonneau des Danaïdes. Cependant, la plupart des associations, voire toutes, sont extrêmement rigoureuses et attentives à la dépense publique. Elles ne demandent des financements que pour garantir la qualité des services qu'elles rendent.

Par ailleurs, l'Uniopss estime que la protection de l'enfance doit nécessairement être une compétence partagée. Ainsi, les dysfonctionnements actuels de cette politique pour répondre aux besoins de l'enfant ne peuvent être uniquement attribués à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Cette politique doit bénéficier d'une approche transversale et interministérielle. L'Uniopss ne considère pas la recentralisation de la protection de l'enfance comme une solution durable à la crise actuelle. Cette approche n'est pas plus garante d'équité territoriale et de coopération que la décentralisation. Nous devons retenir deux principes clés : l'équité territoriale et la coopération. L'Uniopss s'interroge néanmoins sur les conditions de mise en œuvre de cette répartition des compétences. Les moyens financiers sont restreints. Les décisions en matière de protection de l'enfance dépendent largement des ressources financières disponibles, et les départements font face à un contexte tendu en la matière, notamment en raison de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). De plus, les départements subissent l'adoption de lois successives relatives à la protection de l'enfance, imposant de nouvelles exigences sans compensation financière adéquate ou avec une compensation insuffisante. Cette pression financière impacte les associations et les personnes accompagnées, qu'il s'agisse des enfants ou des familles.

Nous proposons plusieurs leviers pour améliorer la situation. Premièrement, une compensation réelle des nouvelles exigences légales. Deuxièmement, une refonte des modalités de financement de l'ASE et de la PMI, afin de sécuriser ces financements et de lutter contre les inégalités de ressources. Troisièmement, un recours beaucoup moins fréquent aux marchés publics et aux appels d'offres. La mise en concurrence n'a jamais permis de générer des économies, bien au contraire. Il est nécessaire de faire un usage réel des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), qui ne doivent pas se transformer en réductions d'objectifs faute de moyens nécessaires.

Enfin, notre réseau s'oppose fermement à la segmentation des enfants et des jeunes qui doivent être protégés en fonction des secteurs. La tendance actuelle à la sanitarisation, notamment pour les mineurs présentant des problèmes complexes, pourrait conduire à la création d'unités spécifiques, engendrant des dualités terribles entre les enfants en grande précarité et ceux dont les crises sont considérées comme éteintes. Les réponses aux dysfonctionnements et le respect des droits et besoins des enfants reposent sur l'exercice effectif des responsabilités des départements, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), des agences régionales de santé (ARS), de l'éducation nationale et des préfectures, avec une volonté sincère de mise en œuvre.

L'Uniopss demande le déploiement des comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), non pas pour traiter uniquement la question des mineurs présentant des problèmes complexes et celle de la gestion des places, mais pour aborder de manière plus globale, avec une ingénierie portée par les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE), la question des appels à projets auxquels les associations pourraient participer. Nous ne sommes pas de simples opérateurs, mais des acteurs capables de co-réfléchir à l'activité sur un territoire.

Dans l'intérêt des enfants, l'Uniopss souhaite que les cahiers des charges des appels à projets soient définis avec l'ensemble de l'expertise présente sur le territoire, qu'elle soit associative ou institutionnelle : PJJ, ARS, éducation nationale. Pour que ces instances deviennent de véritables espaces de gouvernance partagée, il est nécessaire de renforcer les compétences en matière de protection de l'enfance dans les préfectures, notamment par le recrutement de délégués départementaux à la protection de l'enfance, actuellement présents dans seulement quelques départements.

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