Je le redis, le rapport que vous avez corédigé est remarquable et vient à point nommé ; nous l'avons fait circuler au sein de la Commission européenne, et nous sommes assez en harmonie.
Lorsque j'étais ministre des finances, le président Chirac me demandait toujours d'essayer de faire sortir du pacte de stabilité les dépenses très importantes que certains États réalisent alors que d'autres ne le font pas. Je n'ai pas eu un grand succès à ce sujet, mais cela ne nous a pas empêché de réduire la dette à 62 % du PIB. Cette question est lancinante, et l'on constate maintenant que des États, pour certains puristes au point d'avoir voulu interdire tout déficit et qui ne voulaient pas entendre parler d'exclure une partie des dépenses de défense du pacte de stabilité se trouvent devoir accélérer leur effort de défense en vue d'un très important rattrapage. C'est le cas, en particulier, de l'Allemagne.
Il ne m'appartient pas de commenter ces évolutions. Cela dit – c'est peut-être l'ancien ministre des finances qui parle – si l'on en venait à procéder de la sorte, il faudrait revoir ce qu'il en est des dettes pour rééquilibrer l'ensemble. La dette reste la dette, mais le différentiel de dette d'un État par rapport à un autre a une grande importance en matière de politique européenne, l'État dont les finances sont meilleures que celles d'autres États pouvant avoir tendance à se comporter différemment. Tout cela nous apprend qu'il n'y a pas de bons élèves d'un côté et de mauvais élèves d'un autre côté mais que certains États, tels la France, ont été bons élèves pour la défense et continuent de l'être, et que d'autres, telle l'Allemagne, qui ont été de mauvais élèves en ce domaine, essayent de rattraper leur retard, ce qui leur demandera un grand effort. Si on parle du pacte de stabilité, il faut aussi regarder le passé ; on ne peut pas traiter du déficit sans traiter aussi le problème de la dette. J'ajoute, par parenthèse, qu'il existe d'autres dettes, par exemple celles relatives aux émissions de CO2, et que dans ce domaine les choses se présentent très différemment.
Il serait bien sûr tentant de se doter d'un Buy European Act, mais il faut être très prudent. D'une part, dans le projet que je vous ai exposé, pour acheter en commun il faut d'abord concevoir en commun – c'est la coopération dans le cadre du Fonds européen de défense –, produire en commun puis acheter avec le soutien d'Edip ou d'Edirpa. D'autre part, une nuance s'impose. M. Gonzalez a fait état de 80 % d'acquisitions extra-européennes, mais il ne s'agit pas là de l'ensemble des équipements que nous achetons : ce sont 80 % des matériels achetés depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, parce qu'il y avait urgence – on en revient au problème de la disponibilité. Il faut donc garder une vision d'ensemble du dispositif avant d'engager l'élaboration d'un texte de ce type. De plus, une question beaucoup plus large se poserait, celle de la dissuasion. Vingt-trois des vingt-sept États-membres de l'Union européenne sont membres de l'Otan, mais un seul, la France, ne dépend pas de l'OTAN pour la dissuasion nucléaire. Or, dépendre de l'Otan pour la dissuasion nucléaire signifie évidemment dépendre des États-Unis, et l'on ne peut ignorer cet aspect de la question. Tout est donc moins simple qu'il y paraît quand on se limite à dire « Il est anormal que certains États achètent des F-35 alors que nous avons des avions Rafale ». Ces choses demandent du temps.
La liberté d'exportation est à la main des États, nous y veillons ; là encore, vous pouvez compter sur moi. Cette liberté doit évidemment demeurer, et il n'est pas question de la fédéraliser ; ces craintes, légitimes, sont infondées.
La gouvernance se fait au cas par cas, et nous avons appris à le faire comme nous l'avons démontré avec Galileo qui a une forte composante à usage intergouvernemental, voire militaire, puisque ce système de positionnement par satellite et de signal PRS est d'une importance stratégique majeure pour nos armées. La structure de gouvernance intégrée a été adaptée à cette spécificité et elle fonctionne très bien. Cette composante est effectivement gérée de façon intergouvernementale, comme il le faut pour une infrastructure de cette taille, qu'aucun État membre ne pourrait se permettre d'avoir seul. Nous voulons adapter ce type de gouvernance au bouclier cyber ainsi qu'à Iris2, notre constellation multi-orbitale, qui aura une composante militaire native et une gouvernance spécifique.