J'ai commencé de répondre à vos questions en brossant la stratégie européenne en ces matières ; je reviendrai un instant sur la philosophie qui la sous-tend. Dans beaucoup d'États membres prévaut encore une vision de notre outil industriel de défense héritée de la période des arsenaux. Pour beaucoup d'industries de défense européenne, l'interlocuteur principal est la direction générale de l'armement du pays considéré et donc l'État, dont j'ai rappelé les rôles multiples. Il y a une sorte de porosité entre eux. Aucun de ces groupes, répartis partout en Europe, ne pouvant résoudre seul toute la problématique, il est indispensable de les aider à évoluer dans un marché intérieur désormais sans frontières. C'est ensemble que l'on peut régler les questions de disponibilité et d'augmentation de la production. Nous devons permettre aux industriels de produire avant même que les commandes ne soient passées, au lieu qu'à ce jour ils ne commencent à bouger qu'une fois la commande en main, ce qui induit des délais, souvent l'évolution des prix et des problèmes de disponibilité. Il faut donc investir en amont, comme nous l'avons fait dans le cadre d'Asap, pour faire évoluer le modèle économique, aider ces industries à se transformer et à investir avant même que les commandes ne soient passées en sachant qu'elles arriveront puisque, tous les États membres s'étant désormais engagés à respecter l'obligation de consacrer 2 % de leur PIB à la défense, on peut s'attendre à un financement de 140 milliards d'euros supplémentaires. Tel est l'esprit de programme Edip, qui concerne l'ensemble du spectre, autrement dit les demandes les plus communes des États, qu'il s'agisse de mobilité ou d'artillerie, de frégates ou de missiles.
Le Fonds européen de défense, qui soutient les investissements dans la recherche, marche à plein. Pour en bénéficier, les industriels, PME comprises, de trois États membres au moins doivent coopérer. Des projets emblématiques sont en cours de réalisation dans ce cadre : la corvette de patrouille maritime en phase de prototypage, les intercepteurs hypersoniques, l'eurodrone, les systèmes d'alerte avancée antimissiles depuis l'espace, les systèmes de feu derrière la ligne, le char du futur, les systèmes anti-drones, les armes laser énergétiques et les blindés légers, notamment le projet de systèmes blindés Famous qui va être livré. Ces équipements devront maintenant être produits beaucoup plus rapidement pour répondre à nos besoins. Avec le Fonds européen de défense, quatre milliards d'euros ont été investis en amont dans la recherche ; ils s'ajoutent à ce que font les industriels. Ce faisant, l'Union européenne s'est dotée d'un outil dont, contrairement aux États-Unis, elle ne disposait pas encore, pour investir dans la BITD européenne. On notera que le taux de financement augmente si des PME participent à ces projets.
Le programme Edip vise évidemment à ce que l'Union européenne atteigne son autonomie. Il comporte notamment un volet de soutien à l'industrialisation et un volet de soutien aux acquisitions. Les États sont incités, par un financement majoré en cas de coopération transnationale, à travailler ensemble, acheter ensemble et parvenir ainsi à l'interopérabilité et à des économies d'échelle. Ainsi construit-on progressivement l' affectio societatis – et cela fonctionne, contrairement aux méthodes directives. Enfin, Edip prévoit des fonds spécifiques pour les PME et les entreprises à moyenne capitalisation.