Une partie de la toxicologie repose sur les effets observés. Il peut s'agir d'observations faites en contexte humain, comme dans le cas du chlordécone, où les premières observations cliniques, à des doses très élevées, ont suscité des interrogations quant aux effets sanitaires de ce pesticide. Il peut aussi s'agir de travaux expérimentaux menés chez l'animal – qui peut être aussi bien le ver de terre que le poisson rouge ou les oiseaux – et segmentés selon différents types de profils. D'autres considérations entrent en ligne de compte, comme le caractère de perturbateur endocrinien qu'a évoqué Charlotte Grastilleur, bien plus difficile à évaluer, ce qui explique le temps qu'il a fallu pour définir les critères appliqués à cette catégorie. La toxicité d'une substance peut aussi être liée à sa présence dans le sol ou dans l'eau. Ce peut être encore le cas du chlordécone ou – pour évoquer un dossier que nous avons traité l'an dernier – du S-métolachlore, dont la présence ubiquitaire en très grandes quantités dans les eaux souterraines pose inévitablement, si ces eaux sont destinées à la consommation humaine, un problème d'élimination.
Dès 2015, le Luxembourg a anticipé sur son territoire la décision prise au niveau européen en 2023, avec néanmoins des délais de grâce pour la vente et l'utilisation des stocks – plus courts, au demeurant, que ceux que nous avions accordés à l'échelle nationale.
Pour ce qui est de ces délais de grâce, je précise que, si nous n'imposons pas brutalement un arrêt immédiat, c'est parce que les effets des produits concernés correspondent à une exposition chronique de très long cours ou à une accumulation, comme dans le cas des eaux souterraines. Si nous observions que leur utilisation a des effets aigus ou brusquement avérés chez l'homme, il est évident que le délai de grâce serait réduit à zéro.
L'utilisation du prosulfocarbe pose la question de l'exposition des riverains, notamment des enfants – exposition certes théorique mais qu'on ne peut pas négliger, compte tenu de la volatilité de cette molécule. Nous avons considéré que le recours à des outils permettant une pulvérisation plus resserrée pour l'usage agricole autorisait la dispersion de doses différentes tout en réduisant l'AOEL et en faisant disparaître le risque pour les riverains. Nous devrions recevoir en juin de la part des pétitionnaires des données dont nous ne disposions pas sur les usages agricoles. En la matière, à la différence de la Belgique, qui a directement refusé l'autorisation, nous avons retenu notre décision, et l'avons fait en connaissance de cause compte tenu du risque sanitaire. Nous aurions sans doute donné des délais de grâce mais nous avons finalement imposé, jusqu'à la réception des données demandées, une réduction des doses pulvérisées ou, à défaut, le respect d'une distance de sécurité augmentée pouvant atteindre 20 mètres dans le cas du prosulfocarbe.
Dans ce dossier exemplaire, le problème principal a été la présence de ce produit très volatil sur des objets de culture qui n'étaient pas destinés à en recevoir. Les premiers contentieux adressés à l'ANSES étaient donc des demandes de retrait du prosulfocarbe au motif que l'on en retrouvait dans des produits agricoles bio, censés ne comporter aucun résidu de quelque pesticide que ce soit. Nous n'avons toutefois pas pris de décision de retrait, la question n'étant du reste pas sanitaire, mais d'utilisation du produit en fonction des parcelles voisines.
Voilà quelques éléments sur l'interprétation que nous pouvons faire et sur les variations possibles de l'application des principes de sécurité sanitaire – cette dernière restant évidemment la boussole qui nous guide.