Je n'encourage rien du tout.
Dans les années 2010, à l'époque où la FNSEA était encore présidée par M. Lemétayer, dix de mes outils ont été fermés sous des prétextes divers. Bruno Le Maire, qui était alors ministre de l'agriculture, m'appelle un matin en me disant : « Qu'est-ce que tu as encore fait ? Je réunis tout le monde dans mon bureau ce soir et tu te débrouilles pour y être. » Je lui réponds que j'ai peut-être autre chose à faire ce jour-là, mais que c'est entendu, que je fais le déplacement pour être dans son bureau le soir même.
Il me reçoit et me dit : « Tu as vu le chantier ? » Je réponds : « Oui j'ai vu, mais que voulez-vous que je vous dise ? Je ne comprends pas pourquoi ils s'acharnent sur le groupe. Jusqu'à présent on a fait ce qu'il fallait
– Ce n'était pas assez », me répond-il, avant d'ajouter : « De toute manière le quadrillage du territoire n'est pas bon. Il y a trop de petits abattoirs et pas assez de gros. Il faut me réformer tout ça. »
Je lui réplique alors : « Monsieur le ministre, si vous avez deux minutes, je vais quand même vous expliquer que la qualité d'un abattoir et sa capacité à gagner ou à perdre de l'argent ne sont pas directement proportionnelles à sa taille.
– Je ne comprends pas pourquoi tu me dis ça.
– Parce que vous pouvez avoir de petits abattoirs, dotés d'un excellent fonds de commerce, dans lesquels on va traiter de 50 à 200 bovins ; ils vont livrer tous les animaux chez les bouchers, avec un travail assez simple mais à la carte, et ils ont relativement peu de frais. Ces établissements vont gagner de l'argent. Inversement, un gros outil industriel capable de traiter 2 000 bovins, s'il gagne de l'argent, va en gagner beaucoup ; mais quand il va en perdre – et ça peut arriver très vite –, il va y laisser des fortunes. La qualité du résultat est fonction, premièrement, de la qualité de l'outil, deuxièmement, de son fonds de commerce, et troisièmement, des personnes qui gèrent. Quand vous avez réuni le bon triptyque, il n'y a pas de problème. Mais quand il vous manque l'un des trois éléments, il y a danger. »
Il avait retenu cette explication – au point d'ailleurs de la reprendre ultérieurement.
Je lui ai alors demandé : « Monsieur le ministre, vous dites qu'il y a trop d'abattoirs, mais les textes prévoient la fermeture de ceux de classe IV car leurs conditions sanitaires ne sont plus satisfaisantes. Pourquoi ne les fermez-vous pas ?
– Tu n'imagines pas », me répond-il, « le nombre de parlementaires qui vont faire la queue dans le couloir pour me dire qu'il ne faut pas fermer tel ou tel outil ! »
Un plan d'investissement est en cours pour sauver les abattoirs. Moi, je ne m'oppose à rien. Mais je fais un seul constat : dans de nombreux cas, ceux qui crient le plus fort ne sont pas ceux qui financent la rénovation de l'abattoir.
Après, il existe des collectivités et des régions. Moi, je construis des outils, et lorsque j'en rachète, je les rénove. J'essaie d'en avoir la propriété. Je ne fais pas supporter aux finances publiques le coût de fonctionnement d'un abattoir. Je dis régulièrement qu'en France on ferme des tribunaux, des hôpitaux et des gares, mais jamais des abattoirs. On comptait 23 millions de bovins il y a un certain temps. On en a 25 à 30 % en moins aujourd'hui. À un moment donné, il faut faire attention.
Je sais que la fermeture d'abattoirs peut poser un problème en termes de couverture du territoire. Mais il faut voir dans quel état sont la plupart des outils publics financés par les budgets de communes ou de communautés d'agglomération… De même, certains petits abattoirs privés, et parfois certains des plus gros, ne se portent pas très bien du fait de la réduction de la production, du métier très difficile, d'une énorme concurrence et de l'absence d'adaptation à l'évolution du métier. Dans la filière bovine, il est assurément difficile de faire vivre des outils et de conserver un équilibre carcasse pour celui qui n'a pas prévu de fabriquer des steaks hachés.
Pour le reste, je n'entrerai jamais en guerre et ne ferai jamais de procès d'intention à des structures qui sont en service. Je constate seulement que nous n'avons pas tout à fait les mêmes règles de fonctionnement et que les conditions d'hygiène qui nous sont imposées – et que nous nous imposons – sont drastiques, même si cela n'évite pas toujours les accidents. Toutefois, on est parfois un peu dans le « deux poids, deux mesures » avec certains outils que je ne nommerai bien évidemment pas.