Le groupe Bigard a connu deux grandes périodes. Entre 1975 et 1995, la petite entreprise familiale s'est développée à partir d'un site de production qui avait bénéficié d'importants investissements. Nous étions à la pointe dans la fabrication de steak haché, et la grande distribution était florissante. Ce furent des décennies glorieuses.
Nous avons décidé de prendre des positions en dehors de la Bretagne. Une entreprise coopérative, Arcadie, implantée à Cuiseaux, rencontrait alors de grandes difficultés. Son abattoir avait subi deux fermetures administratives et elle n'avait pas les moyens d'investir. Nous l'avons rachetée. Du jour au lendemain, la famille Bigard, qui n'était jamais sortie de son périmètre, est devenue propriétaire d'une demi-douzaine d'implantations dans l'Est et le Sud-Est. Six mois après le rachat, mon père ayant fait un accident vasculaire cérébral, je me suis retrouvé seul à la barre. J'ai finalisé la remise à niveau de l'abattoir de Cuiseaux, malgré la crise de la vache folle. Nous avons passé le cap et avons introduit notre savoir-faire dans tous les outils d'Arcadie.
Dix-huit mois plus tard, la société Charal s'est trouvée à la veille du dépôt de bilan. Il y avait là du beau monde : des banquiers, le groupe Sucres et denrées, les inventeurs de l'Hebdopack ; ils avaient décidé de vendre de la viande en se passant des professionnels. Mais dans ce métier, on a beau posséder une certaine technicité et des moyens, cela ne suffit pas. En 1997, nous avons racheté cette structure à parts égales avec le groupe coopératif Alliance, basé dans le Nord. Nous nous sommes réparti la responsabilité opérationnelle, entre les abattoirs et les produits transformés. Ce fonctionnement a duré une dizaine d'années. Durant cette période, nous avons seulement réalisé quelques petites opérations de croissance externe.
Je précise que nous avions ciblé la société Charal avant de racheter Arcadie mais, à l'époque, le produit n'était pas vraiment présentable ; il fallait le remettre en forme. Les banques ne nous avaient pas suivis. L'opération a pu se faire trois ans plus tard.
Notre collaboration avec Alliance souffrait de problèmes internes, notamment en matière de concurrence, d'autant que ce groupe possédait des affaires de viande dans le Nord. J'ai engagé des discussions avec son directeur, Jean-Pierre Heusèle, car j'estimais que nous devions changer de modèle. Je lui ai proposé d'aller plus loin, de reprendre les parts de Charal qu'il possédait et de racheter ses implantations dans le nord de la France. En contrepartie, Alliance devenait actionnaire du groupe Bigard à hauteur de 33 %. Le deal fut conclu en ces termes en 2006.
Un an plus tard : nouveau cri d'alarme. Il s'agissait cette fois de la société coopérative Socopa, qui était leader en France et présente à l'exportation ainsi que dans les produits élaborés. Elle était à bout et ne pouvait plus faire face à ses échéances. Ses actionnaires sont venus me voir.
À la troisième demande j'ai pris conscience qu'ils étaient à la veille de déposer le bilan, qu'il fallait ne plus traîner et nous retrousser les manches. Le deal s'est évidemment déroulé avec les plus grosses entreprises coopératives de l'Ouest, mais sous la coupe du Crédit agricole – qui était de facto le banquier le plus engagé. J'ai dû passer un grand oral, comme devant vous, en expliquant comment je ferais si je reprenais l'affaire.