J'avais entendu certains bruits mais – attachez votre ceinture ! – j'ai véritablement découvert la première loi Egalim lors d'une conférence professionnelle, en présence du ministre Julien Denormandie. L'assistance d'éleveurs, de distributeurs et de producteurs s'est vu expliquer qu'il y aurait un avant et un après : les prix ne se formeraient plus de l'aval vers l'amont, mais de l'amont vers l'aval. La démonstration m'a laissé dubitatif. Je n'ai pas mâché mes mots quand le ministre m'a demandé mon avis : les éleveurs découvraient cette nouveauté qui avait nécessité, nous disait-on, des milliers d'heures de travail et d'échanges avec les professionnels. Je ne voyais pas comment résoudre les problèmes qui se poseraient avec les distributeurs et d'autres partenaires.
Ce projet ne tenait aucun compte de la loi de l'offre et de la demande. Il négligeait aussi la diversité des productions de viande bovine : l'échelle de prix d'un bovin qui entre à l'abattoir va d'un à trois selon le type d'animal – vaches laitières ou à viande, animaux jeunes ou âgés, gros ou petits, maigres ou gras… Bref, c'était une usine à gaz. Inutile de dire que sa mise en œuvre fut une grande partie de plaisir – d'ailleurs, les révisions de la loi se sont succédé. On a essayé de sauvegarder le coût des productions animales ; il a ensuite été question des productions industrielles… Je n'entrerai pas dans le détail des débats et des bagarres avec les distributeurs, mais c'est un joyeux bazar.
Surtout, comment faire cohabiter les productions qui relèvent d'Egalim avec celles qui n'en relèvent pas ? Pourquoi les produits Charal, Bigard et Socopa sont-ils soumis à un arsenal de règles et de contraintes, alors que leurs équivalents sans marque, fabriqués pour des distributeurs, y échappent ? La production de steak haché frais est à 70 % sous marque de distributeur (MDD) ; elle n'est pas couverte par Egalim mais est soumise à des appels d'offres trimestriels ! Le même modèle doit s'appliquer à tous.
J'ajoute que le distributeur, dans sa politique tarifaire et sa guerre des prix, applique un coefficient de distribution minimal aux produits sous MDD, mais 30 % à 50 % supérieur aux produits de marque. Prenons deux produits très proches : une barquette de deux steaks hachés frais de 125 grammes, ou une boîte de 1 kg. Pour une marque de distributeur, si le produit vaut 10 euros, on le passe à 11 euros, après quoi le distributeur applique un coefficient de 1,30 et définit un prix de vente consommateur (PVC). Le même produit Charal vaut 12 euros, auxquels on ajoute 1 ou 1,20 euro ; cependant, on lui applique un coefficient de 1,80 ou 2. En définitive, l'écart de prix entre le produit sous MDD et le produit de marque est énorme pour le consommateur. Personne ne parle de ce problème au sujet d'Egalim. Soyez-y très attentifs : cela met en difficulté toutes les entreprises.
Je le répète, les produits sous MDD sont soumis à des appels d'offres : le fournisseur qui propose le prix le plus bas remporte la mise. Certains y perdront la vie. Je ne prétends pas, pour autant, qu'il faille mettre fin aux MDD. Le sujet est d'autant plus complexe que deux distributeurs possèdent des outils de production de viande ; il n'y a alors plus de règle : ils peuvent pratiquer des prix de cession et des opérations qui nous sont inaccessibles en commerce direct. La loi Egalim, pourquoi pas, mais les dés sont pipés.