Le malaise est énorme. La question, vaste, implique de revenir sur la PAC – politique agricole commune –, le verdissement, les contraintes de bientraitance animale, les problématiques phytosanitaires et les contrôles. L'an dernier, lors du Salon de l'agriculture, je m'étais permis de signaler à M. le Président de la République que la pression montait. Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que cela se vérifie.
Beaucoup a été écrit sur le sujet. L'agriculture est très réglementée – il ne me revient pas de juger si c'est une bonne ou une mauvaise chose. La stratégie « De la ferme à la fourchette » a fixé les étapes de la production de nourriture et son évolution. Il a été notamment prévu de réduire tant le chargement des exploitations et des prairies que l'emploi de produits phytosanitaires et de subordonner l'octroi de prime à la réalisation de ces objectifs.
L'économie de l'agriculture est administrée, politisée, dirigée. Quant à moi je dois trouver, dans le cadre d'un marché, un équilibre entre les producteurs et les acheteurs. Des tensions émergent ponctuellement, car certains producteurs nous reprochent de ne pas enlever les animaux assez vite, ou de ne pas les payer assez cher. À l'inverse, quand l'offre d'animaux est insuffisante, les cours montent ; c'est la loi de l'offre et de la demande.
Le problème est également d'ordre sociologique. Dans le monde agricole, il n'est pas question des 35 heures ni de week-ends de deux jours. De moins en moins d'actifs veulent donc travailler dans ce secteur, les gens se débinent partout, sans parler de l'insuffisance des revenus, déterminés par le prix de vente des productions mais aussi par la PAC. Pour notre part, nous sommes totalement étrangers à la fixation du montant de ces aides, qui résulte d'une bagarre, d'arbitrages politiques entre les différents syndicats de production animale et végétale. Nous devons composer avec.
En tout cas, le malaise agricole ne résulte pas d'une insuffisance des tarifs d'achat. Je ne connais aucun pays européen où ils sont supérieurs à ceux pratiqués en France. Aux États-Unis, les éleveurs et les céréaliers sont fortement subventionnés à travers le Farm Bill ; les subventions européennes, à côté, c'est de la rigolade.
Je constate que l'Espagne, pays où les contraintes sont peut-être moins nombreuses qu'en France, développe ses exportations de viande. L'Allemagne, en s'appuyant sur une main-d'œuvre à bas coût et sur un accompagnement de la filière porcine notamment, a également ouvert grand les vannes de l'exportation. En France, en revanche, la production animale n'a pas connu d'emballement. Nous constatons même un mouvement de décapitalisation, qui a commencé avant la crise agricole. Les exploitations laitières, les productions animales et les cheptels se réduisent. Plus de 1 million de bovins sont exportés chaque année, notamment en Italie ou en Espagne. Nous essayons, depuis un an, de conserver ces productions en France, en accompagnant financièrement des coopératives, des groupements de producteurs, pour sécuriser l'avenir.
Le ras-le-bol général du monde agricole qui s'est manifesté sur les barricades n'est pas parti, selon moi, des éleveurs.