C'est en effet l'enjeu crucial du repérage par le questionnement systématique. De nombreux enfants entrent dans le système de protection de l'enfance pour d'autres motifs que les souffrances extrêmes qu'ils subissent. C'est une très grande leçon que je tire de la Ciivise : le récit des enfants devenus adultes est au-delà de la représentation que l'on s'en fait quand l'enfant le dit. C'est donc que le risque n'est en réalité pas de surinterpréter les violences mais d'invisibiliser non seulement la violence elle-même, mais son extrême gravité, c'est-à-dire la cruauté délibérée et persistante des agresseurs.
Nous n'avons pas cette information parce que nous ne posons pas la question. Et si on ne dit pas la loi à un enfant victime, il ne peut pas savoir si nous sommes de son côté.
Nous demandons aux enfants victimes de violences, d'inceste, de toute violence sexuelle et de toute violence en général de nous faire confiance. Nous leur disons : « Fais-nous confiance, surtout dis-le-nous ». Mais, à l'instant même où ils nous font confiance, nous posons sur leur visage le masque de l'enfant menteur. Alors l'enfant se tait à jamais ! Et puis, après quatre ou cinq placements, quand il est en sécurité, il demande : « Pourquoi ne m'avez-vous pas écouté ? ».
Je vous donne un exemple très simple, qui remonte au temps où j'étais juge des enfants dans un autre tribunal. Nous nous étions rendu compte qu'une adolescente était victime du système prostitutionnel. Tout le monde lui parlait de respecter son corps, de dignité, etc. Au bout d'un moment, elle a dit : « quand quinze garçons m'ont violée dans une cave » – et ce ne sont pas ces mots fleuris qu'elle a utilisés –, « personne n'en avait rien à faire ; maintenant, je fais n'importe quoi avec mon corps et c'est un problème pour vous ? ». Nous regardons le symptôme de la violence et du trauma ; nous ne sommes pas intéressés par la violence qui en est la cause parce que nous la tolérons.