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Intervention de Jean Castex

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 18h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Jean Castex, ancien Premier ministre :

C'est possible. Rien, en tout cas, dans ces avis, ne me paraissait justifier que l'on sursoie à la décision.

S'agissant de la place accordée au dossier de l'A69 dans l'action du Gouvernement, je crois, là aussi, vous avoir déjà répondu : sans vouloir minimiser l'importance du Tarn, ce projet n'en était qu'un parmi d'autres. En tout cas, il était mentionné dans le rapport, annexé à la LOM, relatif aux orientations de la politique d'investissement. À ce titre, il faisait partie des dossiers prioritaires retenus par le législateur, ce qui relativise quelque peu mon rôle.

Le projet d'autoroute A69 entre-t-il en contradiction avec la politique de la majorité en place depuis 2017, notamment avec la stratégie nationale bas-carbone et la loi « climat et résilience » ? Absolument pas, comme je vous l'ai dit, parce que des mesures compensatoires sont prévues et, surtout, parce que notre objectif est de favoriser des usages décarbonés. Je tiens à redire que nous avons relancé bien d'autres projets structurants pour l'avenir, notamment dans le champ des transports publics – votre serviteur s'y est particulièrement employé.

Ma réponse à la question suivante est très claire : je n'ai pas souvenir d'avoir évoqué le dossier de l'A69 avec le Président de la République et je ne crois pas que mes services l'aient fait. Quoi qu'il en soit, c'est le ministère en charge des transports qui a mené la procédure de consultation ayant abouti à la désignation du concessionnaire.

Vous me demandez ensuite si j'ai eu des échanges avec les représentants du groupe Pierre Fabre. Si vous entendez par là des échanges au sujet de l'A69, avant l'annonce du choix du concessionnaire, la réponse est non. Quant à savoir si j'ai eu dans ma vie des échanges avec le groupe Pierre Fabre, la réponse est évidemment positive : je connais de longue date ce grand groupe pharmaceutique du Sud-Ouest. Vous me dites que ses représentants ont indiqué publiquement avoir plaidé en faveur de l'A69 auprès des pouvoirs publics depuis des décennies : je veux bien le croire ! J'irais même jusqu'à dire qu'ils n'auraient pas fait leur travail s'ils n'avaient pas demandé la liaison autoroutière ! En effet, l'entreprise, qui est installée dans l'agglomération de Castres-Mazamet, est certainement confrontée à des difficultés de recrutement.

Pierre Fabre, que je n'ai pas connu intimement, a construit un empire en partant de peu et a toujours veillé à ce que son groupe soit à l'abri des offres publiques d'achat (OPA). Viscéralement attaché à son territoire et n'ayant pas de successeur, il avait institué un statut juridique complexe destiné à éviter toute délocalisation. Le groupe Pierre Fabre a rendu service à la France, au Tarn et à la région Occitanie, qui ne doit pas en avoir honte ! S'il me paraît logique qu'il ait demandé la construction d'une autoroute, la décision appartenait aux pouvoirs publics. Il me semble que celle qui a été prise est bonne pour le groupe et ses salariés, mais aussi, entre autres, pour le développement des territoires, l'équité entre ceux-ci et la sécurité routière.

Je le réaffirme, pour que ce soit clair : à aucun moment le groupe Pierre Fabre n'est intervenu auprès de moi. J'admets parfaitement que l'on puisse être en désaccord avec ma décision, madame la rapporteure – c'est la démocratie – mais je l'ai prise en toute indépendance, sur la base des convictions que je vous ai rappelées et de l'instruction technique qui a été conduite.

J'en viens à la question suivante. Après avoir rappelé que j'avais considéré le niveau du péage et la participation des collectivités publiques comme essentiels dans le choix du concessionnaire, vous me demandez de quelle manière le dialogue a été noué avec les cinq collectivités territoriales, quelles autorités ont préparé la décision et qui a pris la responsabilité du choix final. La réponse, sur ce dernier point, est très claire : ce n'est pas moi.

L'inconvénient – ou plutôt, la caractéristique – d'une autoroute, c'est la présence d'un péage. On ne peut pas vouloir développer les infrastructures sans financement associé. Il n'est pas nouveau que les pouvoirs publics s'interrogent sur le niveau du péage, qui ne doit pas constituer un obstacle. Or, de ce point de vue non plus, le dossier ne me paraissait pas présenter de particularité.

Le conseil régional d'Occitanie, le conseil départemental du Tarn, celui de la Haute-Garonne, la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet et la communauté de communes Sor et Agout sont les cinq collectivités à participer, à hauteur de 50 %, à la subvention d'équilibre avec l'État. Je tiens à insister sur le fait qu'elles ont délibéré sur le sujet. Autrement dit, des élus du peuple – dont on peut ne pas partager les orientations – se sont prononcés de manière souveraine et ont voté une contribution visant à faire diminuer le prix du péage. Le Parlement avait quant à lui adopté la LOM. Il me semble essentiel, dans un souci de transparence, que des élus nationaux ou locaux aient à se prononcer sur ce type d'infrastructure.

Avant même le lancement de la procédure d'appel d'offres, des échanges ont eu lieu avec les collectivités en vue de la mise au point d'une convention de financement avec l'État, pour un montant initialement plus élevé. Je suppose que, comme c'est l'usage, la négociation a été conduite par le préfet de la région Occitanie, à moins qu'elle n'ait été menée directement par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM). Les collectivités ont par ailleurs été tenues informées de l'avancement de la procédure et du choix du concessionnaire – ce qui était normal, compte tenu de leur participation financière.

Ai-je moi-même échangé avec la société retenue comme concessionnaire avant ou après la prise de décision ? La réponse est non. Je connais le groupe retenu mais n'ai pas échangé avec ses représentants dans le cadre de ce projet.

Vous me demandez ensuite si le résultat de l'appel d'offres au terme duquel NGE a été retenu m'a été communiqué. Cette procédure, conduite sous la houlette de la DGITM, est très technique. Après instruction, elle est soumise à une commission consultative – laquelle a validé le classement des offres retenues. Mon rôle n'était certainement pas de prendre connaissance des éléments techniques. Il aurait même été gênant que le Premier ministre interfère de quelque façon que ce soit dans cette procédure. J'ai été tenu informé dans les conditions que j'ai rappelées, ce qui m'a conduit à annoncer le choix du concessionnaire.

Vous me demandez également s'il est d'usage que ce type d'information technique soit transmise aux services ou au cabinet du Premier ministre. Je vous répondrai que l'on n'annonce pas tous les huit jours le choix d'un concessionnaire pour un projet autoroutier ! Je ne saurais vous dire s'il existe des précédents. En tout cas, le seul concessionnaire dont j'ai annoncé le choix lorsque j'étais Premier ministre est celui de l'A69 et, comme je vous l'ai dit, je ne regrette pas de l'avoir fait.

J'en viens à la question suivante : le projet a-t-il été « réinterrogé » au cours des années durant lesquelles j'étais au pouvoir, au regard notamment des connaissances acquises sur le plan environnemental ou des conséquences du covid sur les déplacements professionnels et sur le télétravail ?

Si le covid a eu un impact substantiel sur les transports en 2020, le nombre de déplacements s'est redressé dès 2021, année au cours de laquelle le chiffre d'affaires de la SNCF était déjà revenu à son niveau de 2019. Tous les éléments dont nous disposions montraient que la chute du nombre de déplacements interurbains ne serait que temporaire et n'affecterait pas durablement la demande de transports et de mobilité. Quant au télétravail, il a surtout un effet sur les transports urbains. Je le répète : l'enjeu n'est pas de supprimer les déplacements ni la voiture, mais de décarboner les mobilités tout en continuant à désenclaver des territoires ruraux. Et je n'ai jamais eu connaissance d'éléments qui conduiraient à réinterroger l'économie générale du projet.

De ce fait, la question suivante ne se pose pas.

J'en viens donc à la dernière question : « De manière générale, il est statistiquement constaté que les projets d'infrastructures font l'objet de contestations, par voie de recours judiciaires comme de manifestations sur les lieux des chantiers, alors même qu'ils respectent le principe de légalité et qu'ils ont été légitimement approuvés par des autorités politiques élues. Ces contestations ne montrent-elles pas que la législation sur la participation du public aux décisions ayant un impact sur l'environnement devrait être révisée, afin d'instaurer un véritable dialogue entre les pouvoirs publics et les citoyens, plutôt que d'avoir une succession d'actes unilatéraux, même s'ils sont précédés d'une enquête publique ? Lorsque vous exerciez vos responsabilités, y avait-il des réflexions sur ce sujet au sein du Gouvernement, ou entre le Gouvernement et des parlementaires, ou encore avec des associations environnementales ? »

Je ne suis pas toujours d'accord avec vous, madame la rapporteure, mais tout est un peu vrai dans cette question. Il est certain que nous devons toujours chercher à améliorer la façon dont le public est associé à ce type de projet. Le sujet était d'ailleurs sur la table de la Convention citoyenne pour le climat.

Vous le dites très bien vous-même, néanmoins : ces projets font l'objet de décisions par des autorités légitimes et démocratiques. C'est en ma qualité de Premier ministre que j'ai annoncé le choix du concessionnaire ; le Parlement a voté ; un consensus assez fort prévalait au sein de la plupart des assemblées délibérantes ; la population a pu s'exprimer dans le cadre des enquêtes publiques ; des recours ont été formés et des juridictions se sont prononcées. On peut toujours améliorer les choses, dans le cadre d'une vision plus prospective – à laquelle je suis attaché – mais je parle aussi en ma qualité d'ancien maire. Dans le cadre d'une concertation s'expriment des avis contradictoires. Il revient aux autorités légitimes, démocratiquement désignées par le suffrage universel, de trancher. Si ceux dont l'avis n'a pas été suivi veulent ensuite rejouer le match pour imposer leur point de vue à toute force, on n'en finira jamais ! Vous aurez beau rénover les procédures de concertation, si, à l'arrivée, la décision ne correspond pas à l'idée qu'ils s'en font – qu'elle soit juste ou non – les projets seront indéfiniment retardés et le principe démocratique s'en trouvera mis en cause.

Pour répondre à votre question, monsieur le président, le recours à la violence me paraît absolument injustifiable. Je sais que des ouvriers sont régulièrement pris à partie et que des engins sont incendiés. Je vous le dis avec beaucoup de calme : ce n'est pas possible. Nous ne partageons pas toujours les mêmes idées, madame la rapporteure, mais ce n'est pas pour autant que je commettrais des actes de violences à votre endroit !

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