Je vais essayer de répondre à vos questions, mais je me suis demandé, en écoutant Mme la rapporteure, si les réponses n'y étaient pas déjà contenues. Deux éléments ressortent de vos interventions : le contexte global dans lequel s'inscrit la décision de réaliser l'autoroute A69 et le rôle que j'ai joué à un moment de la procédure, celui de l'annonce du concessionnaire retenu par l'État pour réaliser l'ouvrage.
Tout cela remonte à septembre 2021, et il m'a fallu rassembler mes souvenirs. Lorsque j'étais Premier ministre, je me suis beaucoup déplacé sur l'ensemble du territoire national. Le premier motif de mon déplacement à Lagarrigue n'était pas l'annonce du choix du concessionnaire. Ayant appris – de M. Djebbari ou de mon cabinet, peu importe – qu'un concessionnaire avait été désigné à l'issue du processus de sélection habituel, j'ai souhaité profiter de ce déplacement pour l'annoncer, car ce projet me paraissait important. Dans la présentation que l'un et l'autre avez bien voulu faire de moi, il manque un petit élément, mais d'importance : je suis un élu d'Occitanie, et cette région est chère à mon cœur.
J'en viens au contexte. Madame la rapporteure, vous m'avez demandé si j'avais réfléchi à des orientations globales en matière de mobilité et si ce dossier n'était pas contraire à la loi « climat et résilience » que j'ai eu l'honneur de défendre. Monsieur le président, vous avez rappelé que j'ai porté d'autres projets routiers et autoroutiers. De fait, je me suis vivement intéressé aux questions de mobilité, lorsque j'étais Premier ministre, et cela n'a pas varié depuis lors.
J'ai soutenu des projets routiers et autoroutiers – ce que je revendique politiquement devant votre commission – mais également ferroviaires : j'ai relancé les trains de nuit, rouvert des lignes d'aménagement du territoire, remis en service le train des primeurs entre Rungis et Perpignan, etc. Un des premiers arbitrages que j'aie eu à prendre lorsque j'ai été nommé Premier ministre concernait le plan de relance, que nous avons annoncé à l'extrême fin du mois d'août 2020, à un moment où la covid connaissait une baisse de régime transitoire. Le plan de relance était alors déjà dans les tuyaux ; mon prédécesseur y avait beaucoup travaillé. Une de mes plus-values a été d'y ajouter des crédits pour les mobilités, notamment ferroviaires. J'ai annoncé, dans les semaines qui ont suivi, à Valenton, des mesures en faveur du fret ferroviaire. Les crédits correspondants, que j'ai fait inscrire, ont ensuite été soumis à la délibération parlementaire. Le développement des mobilités a fait partie des priorités politiques de mon gouvernement.
Madame la rapporteure, la conciliation de ces priorités avec l'impératif écologique ne m'a pas échappé. Vous avez vu un symbole dans mon absence lors des discussions sur le projet de loi « climat et résilience ». C'est votre opinion et je la respecte, mais cette interprétation n'est pas la bonne. Je n'ai défendu aucun texte au Parlement de cette manière, car l'usage veut que ce soit le ministre en charge qui s'y emploie. Ne surinterprétons donc pas mon absence à tel ou tel moment de la procédure parlementaire. Je me suis personnellement beaucoup impliqué dans la loi « climat et résilience », qui est un texte ambitieux. Tout cela faisait partie d'un ensemble. Les procédures encadrant les projets d'infrastructure – mesure de l'impact environnemental, compensations environnementales, prise en compte des nécessités, en particulier de maîtrise de l'espace – ne datent pas de mon gouvernement, mais elles ont considérablement progressé. On peut estimer qu'il faut en faire davantage, mais ces règles sont inséparables de la conception même de ces projets.
Je ne vais pas revenir sur la contribution du secteur des transports, en particulier du secteur automobile, aux émissions de gaz à effet de serre, mais je veux souligner que nous avons poursuivi et amplifié, sous l'autorité du Président de la République, le mouvement visant à la décarbonation des transports par de grandes décisions prises en lien avec l'Europe. Nous nous sommes résolument engagés dans l'évolution de la voiture vers la motorisation électrique – j'avais d'ailleurs annoncé moi-même le plan sur les bornes de recharge et le plan de relance contenait des dispositions en la matière. C'est un long chemin, qui n'est pas terminé. Vous connaissez tous les échéances européennes. Madame la rapporteure, j'assume ces choix politiques.
Nous avons également renforcé les moyens de mobilité collective, notamment ferroviaire. J'avais ainsi annoncé à Tourcoing le résultat d'un appel d'offres sur les transports urbains de voyageurs et j'ai relancé dans votre région, avec les élus du territoire, des lignes à grande vitesse.
J'ai toujours dit qu'il fallait aussi faire des choses pour la route car, si notre objectif est de promouvoir les véhicules propres, il faudra bien que ces véhicules puissent rouler.
Je suis natif et élu d'un territoire rural. Dans ces territoires, on a besoin de tout. Les infrastructures susceptibles d'accueillir les usagers doivent s'inscrire dans une stratégie de décarbonation des usages et de compensation environnementale. J'ai eu l'occasion, à la faveur de plusieurs déplacements, d'exposer ma doctrine sur les orientations globales en matière de mobilité. Je ne le signale pas dans l'espoir de vous convaincre, madame la rapporteure, de la justesse de cette doctrine, mais pour répondre à votre question.
L'autoroute A69 est le fruit d'un choix réfléchi. Vous m'offrez l'occasion de vous dire pourquoi j'y étais favorable. Notre pays a besoin de mobilité ; c'est l'un des facteurs de son développement économique. Je suis très attaché à l'égalité, et donc à l'aménagement du territoire, qui est source de sécurité. Je ne parle pas exclusivement du Gers et de la RN126 : près de chez vous, madame la rapporteure, passe la RN124, que j'ai relancée par sa mise à deux fois deux voies. Nous essayons de développer tous les territoires dans cette optique, dont le bassin de vie de Castres-Mazamet, qui est un bassin d'emploi et de création. Nous discutons avec tous les acteurs de ce territoire pour développer l'enseignement universitaire, la formation professionnelle et la recherche ; pour ce faire, il faut qu'il soit bien desservi. Nous savons qu'à plus ou moins brève échéance, les véhicules qui rouleront sur ces routes et ces autoroutes seront décarbonés. Il n'y a là nulle contradiction.
Je veux insister sur le fait que j'étais à l'époque Premier ministre, et non pas ministre des transports ; chacun a joué son rôle. Je me suis replongé dans l'histoire du dossier. Je suis intervenu après la DUP – qui est l'acte politique qui lance l'affaire – en annonçant le nom du concessionnaire désigné. Cette annonce est importante car elle permet d'affiner le cahier des charges et l'autorisation environnementale sous l'autorité du Conseil d'État et de l'Autorité de régulation des transports (ART). Nous ne sommes d'ailleurs pas parvenus au bout du chemin puisque l'équipement n'est pas encore en service.
Je rappelle que le Premier ministre n'intervient pas dans le choix du concessionnaire. Il revient aux organes compétents au sein du ministère des transports d'analyser les offres. Il y avait plusieurs offres – je ne sais plus combien. À l'époque, on avait dû bien sûr me communiquer le dossier, mais le Premier ministre n'a pas le temps de rouvrir tous les dossiers traités par les ministères, et tel n'est d'ailleurs pas son rôle.
J'ai une certaine expérience et je constate que le dossier a suivi son cours normal ; la déclaration d'utilité publique a été publiée, le concessionnaire a été choisi parmi plusieurs candidats. Quant au prix du péage – sujet que j'ai connu à de multiples reprises – il est prévu une contribution des collectivités publiques, donc de l'État, pour en limiter le montant. Le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) avait rendu son avis sur l'intérêt socioéconomique du projet avant que la DUP ne soit prise. Le cadre fixé a été respecté. Je rappelle que le projet figure dans la LOM et qu'à ce titre, il bénéficie de la légitimité d'un vote du Parlement. Il a été déclaré d'utilité publique au terme de toutes les procédures prévues par la loi. J'ajoute que les nombreuses contestations portées devant les tribunaux ont été tranchées suivant les règles de l'État de droit.
En résumé, il s'agit d'une procédure normale, conforme aux orientations qui ont été définies en matière de mobilité et de désenclavement des territoires. Tout concourt donc à ce que je me rende, le 25 septembre 2021, à Lagarrigue pour faire cette annonce attendue par les élus du territoire. Des contestations s'exprimaient, à l'époque, comme c'est le cas pour tous les projets – ce qui est tout à fait normal en démocratie – mais elles ne présentaient pas le degré de violence qu'elles ont atteint par la suite.
Ce dossier avait de nombreux partisans, ainsi que ses détracteurs, mais, du point de vue du Premier ministre, garant de la paix sociale, que j'étais alors, les échanges s'inscrivaient dans un cadre démocratique normal. Le projet me semblait en outre répondre aux besoins d'un territoire que je connaissais bien. Tout, ensuite, réside dans l'art de l'exécution, qui exige, par exemple, de s'assurer que l'ensemble des mesures compensatoires ont été et seront respectées. Aucun élément n'aurait pu me conduire à faire une annonce autre que celle que j'ai faite le 25 septembre 2021.