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Intervention de Maître Cécile Labrunie

Réunion du jeudi 16 mai 2024 à 10h00
Commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du centre d'expérimentation du pacifique en polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

Maître Cécile Labrunie, avocate de l'Aven :

L'absence d'indemnisation des veuves, des enfants et des petits-enfants me touche particulièrement, dans la mesure où le parallélisme de forme s'applique parfaitement. La différence majeure réside dans le nombre de victimes respectives. Le scandale de l'amiante est « le » scandale sanitaire du XXe siècle. Il a nécessité une réponse, malheureusement tardive, mais efficace de la part de l'État français, à travers la mise en place d'un système d'indemnisation fondé sur la solidarité nationale. La loi qui a mis en place le Fiva aurait dû davantage inspirer le ministre de la défense qui s'était saisi du sujet, tout comme le législateur.

Je rappelle en effet que lorsque le Fiva a été mis en place, il a été décidé d'indemniser intégralement les préjudices de la victime directe et des victimes dites indirectes, que l'on appelle aussi, dans notre jargon, « victimes par ricochet ». Ces dernières, intégralement indemnisées de leurs préjudices, sont envisagées de manière non restrictive, c'est-à-dire toute personne pouvant établir un lien affectif avec la victime décédée, qu'il s'agisse du conjoint, du concubin, des enfants, des petits-enfants, des frères, sœurs et ascendants-parents.

Le parallélisme de forme est simple sur ces questions. J'évoque souvent un exemple, celui d'une personne qui décède d'un cancer du poumon, c'est-à-dire un cancer multifactoriel, à la suite de l'inhalation de poussières d'amiante et d'une exposition aux rayonnements ionisants. Son épouse, ses enfants et petits-enfants vont pouvoir formuler une demande auprès du Fiva. Si le Fiva estime que la demande est recevable, il proposera une indemnisation au titre des préjudices subis de son vivant par le malade, et une indemnisation des préjudices subis par l'épouse, les enfants, les petits-enfants. Parmi ces préjudices, il admettra donc le préjudice moral et le préjudice d'accompagnement. Le cas échéant, il calculera le préjudice économique pour le conjoint, voire les enfants à charge.

Quand une personne décède d'un cancer bronco pulmonaire parce qu'il a été exposé aux rayonnements ionisants dans le cadre des campagnes d'essais nucléaires, la conjointe ou le conjoint dépose une demande d'indemnisation. Si le Civen estime que la demande est recevable, il ordonnera une mission d'expertise, mais selon la nomenclature Dintilhac, cette expertise sera limitée au préjudice subi de son vivant par le défunt. Le préjudice subi par l'épouse qui a accompagné son conjoint en fin de vie, qui se retrouve seule face aux affres du deuil et des tourments, non seulement familiaux – notamment en cas d'enfants mineurs – mais également économiques, n'est pas examiné.

À partir du moment où l'on reconnaît qu'une personne a contracté une maladie en raison de son exposition aux rayonnements ionisants, il n'y a pas de raison que nous ne reconnaissions pas également l'impact sur la structure familiale. Ces sujets arrivent bien tardivement par rapport à l'adoption du texte en 2010, mais il faut avoir conscience du fait qu'à cette époque, il existait déjà une réponse, certes incomplète. Le combat principal portait sur l'obtention d'une reconnaissance et d'une indemnisation pour ces malades, pour ces personnes décédées, car l'on voyait bien qu'on avait déjà la plus grande difficulté à l'obtenir.

Avant une indemnisation, un rendez-vous d'expertise est toujours organisé. Ces rendez-vous permettent aussi de témoigner pour les personnes que j'ai accompagnées. Je pense à ces femmes qui, après le décès de leur époux, n'ont plus été en mesure d'assumer les charges du foyer et qui ont dû vendre leur maison ; celles qui ont tenu pendant toute la durée de la maladie, qui ont dû cesser de travailler et qui se sont effondrées au décès ; celles qui ont tenté de mettre fin à leurs jours ; celles qui se retrouvent sans emploi à 45 ans, dont le fils aîné doit renoncer à ses études parce qu'il faut aider les autres enfants, mineurs ; le fils qui refuse de s'alimenter, au moment du décès de son père, car il est convaincu de souffrir de la même maladie. Il faut entendre ces paroles ; il n'y a pas de raison de ne pas reconnaître et indemniser ces préjudices.

J'estime donc qu'il y a effectivement urgence. Le ministre des armées a été interrogé sur ce point par différents députés et sénateurs. Il a répondu, à mon sens relativement froidement, sur le fait que le système d'indemnisation ne permettait pas à ce jour d'indemniser les victimes dites par ricochet, mais que rien ne les empêchait d'engager une procédure en responsabilité de l'État sur le fondement des règles de droit commun. Mais encore faudra-t-il qu'ils établissent le lien direct et certain entre la maladie qui a entraîné le décès et l'exposition aux rayonnements ionisants. Outre le fait de démontrer la responsabilité de l'Etat.

Dès lors, le ministère des armées renvoie celles et ceux qui se sont déjà battus pendant parfois dix ou quinze ans, pour obtenir la reconnaissance du statut de victime pour les défunts, aux mêmes affres qu'au préalable, avant 2010. La preuve du lien direct et certain entre la maladie et l'exposition est extrêmement compliquée à rapporter. Les proches ne comprennent pas que leur époux ou pères décédés d'une maladie aient été indemnisés du préjudice ; mais qu'il leur faille rapporter la preuve du lien direct et certain entre la maladie et l'exposition.

Enfin, nous avons déposé ces requêtes il y a deux ou trois ans. Les premières juridictions ont statué et n'ont pas regardé le fond, estimant que la prescription s'appliquait, dans la mesure où, en droit administratif, le délai est de quatre ans pour engager un recours en responsabilité. Le ministère des armées considérait que le délai portait à partir de la date du décès. Pour le tribunal administratif, il s'agit de la date à laquelle le conjoint, souvent la veuve, a fait une demande auprès du Civen, demande qui s'était vue opposer un rejet.

Dès lors, une femme qui se battait déjà pour obtenir la reconnaissance des droits de son époux aurait dû également penser à ses propres droits et engager la responsabilité de l'État et établir le lien direct et certain entre la maladie de son époux et son décès. Il s'agit de problématiques complexes qui ne devraient pas l'être. Je parle de personnes qui avancent en âge, et certains conjoints que j'ai accompagnés sont décédés sans avoir connu l'issue favorable de leur contentieux. J'en appelle ainsi à une réaction assez radicale et rapide pour permettre de solder une situation qui n'aurait même pas dû survenir.

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