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Intervention de Maître Cécile Labrunie

Réunion du jeudi 16 mai 2024 à 10h00
Commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, à l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du centre d'expérimentation du pacifique en polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

Maître Cécile Labrunie, avocate de l'Aven :

Le processus d'indemnisation a été long à obtenir et ensuite périlleux dans son application. Pour rappel, l'association a été créée en 2001, et le cabinet a commencé à l'appuyer à compter de 2002. Jusqu'en 2010, les vétérans (appelés et militaires) étaient les seuls à pouvoir tenter d'obtenir une indemnisation, à travers la demande d'une pension militaire. Tout le contentieux a été porté massivement à l'époque devant les tribunaux de pension militaire, qui n'existent plus désormais. Du fait de la pression contentieuse et de l'action de l'association, dix-huit propositions de loi ont été successivement déposées, jusqu'à ce que le ministre de la défense de l'époque dépose un projet de loi d'indemnisation, dont l'ambition consistait à permettre l'accession à une juste et efficace indemnisation. L'association et ses membres étaient alors soulagés d'avoir été entendus. L'efficacité n'a toutefois pas été totalement au rendez-vous et dès 2010, nous avions observé que ce système n'était pas complet, car il contenait des obstacles majeurs et ne prévoyait pas d'indemniser les proches du défunt victime d'une maladie radio-induite.

Entre 2010 et 2017, les rejets des demandes étaient quasi-systématiques : vous avez mentionné le taux de 98 % de rejet mais en pratique, parmi les dossiers suivis par l'association et mon cabinet, seules onze décisions favorables ont été émises à l'époque par le ministère des armées, après avis du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

En parallèle, environ 200 procédures contentieuses ont été initiées à l'encontre de décisions de rejet, prises au motif de l'existence d'une probabilité de risque négligeable. Je rappelle pourtant que le système d'indemnisation a été fondé sur un principe de présomption de causalité. Or en matière de cancer, l'état de la science ne permet pas d'établir avec certitude le lien d'un cancer avec une cause, quelle que soit cette cause, quel que soit l'agent ou le matériau cancérogène.

On ne peut donc raisonner que par présomption, et c'est d'ailleurs pour cette raison que le système d'indemnisation a émis les conditions permettant justement de bénéficier de la présomption de causalité : être atteint d'une maladie dite radio-induite telle que visée dans une liste publiée par décret ; avoir été présent dans un lieu et à une période concernée par les essais nucléaires – ces périodes et lieux étant également définis par la loi et son décret d'application.

En 2017, la loi Erom supprime purement et simplement la notion de probabilité de risque négligeable, ce qui va permettre une augmentation significative des indemnisations, principalement du fait des tribunaux administratifs, qui ont à l'époque enjoint quasiment systématiquement le Civen à indemniser, à travers plus de 200 jugements. Interrogé, le Conseil d'État a indiqué que le Civen pouvait toutefois renverser la présomption de causalité, si et seulement s'il établit la preuve que la maladie est exclusivement liée à une autre cause.

Je pense que l'État a craint l'étendue des conséquences de cette présomption de causalité, dans les faits irréfragable, bien que je comprenne bien entendu que le législateur soit comptable de la bonne utilisation de l'argent public. Des situations imaginaires ont toutefois pu être mises en avant, comme lorsque certains ont soulevé le spectre qu'une indemnisation trop élargie permettrait à un couple parti en voyage de noces à Papeete dans les années 1990 et qui, atteint dix ans plus tard d'un cancer faisant partie de la liste, remplirait en théorie les conditions établies par la loi. En tant qu'avocate, je n'ai jamais été confrontée à ce genre de profils. Dans les faits, les demandes sont effectuées par des personnes qui ont vécu sur les sites pendant plusieurs mois ou années ; ou qui résidaient sur place. Nous ne nous trouvons jamais face à ce genre de caricature et c'est pour parer à un abus peu probable que le législateur a décidé de rajouter une possibilité pour le Civen de renverser la présomption de causalité s'il établit que la victime a été exposée à une dose inférieure à un millisievert, qui correspond à la dose retenue dans le code de la santé publique pour la population.

En résumé, les dossiers des vétérans des essais nucléaires sont moins rejetés qu'auparavant. Aujourd'hui, environ 70 % des décisions sont favorables. Les décisions de rejet qui sont opposées au motif d'une exposition inférieure à un millisievert sont systématiquement contestées devant les tribunaux administratifs, qui répondent plutôt favorablement. Selon l'état du droit, ce n'est pas à la victime d'établir son niveau d'exposition pendant les campagnes de tir. Elle n'est pas en mesure de l'établir, pas plus que le Civen à qui il appartient de prouver que ce seuil n'est pas atteint. Or nous n'avons pas de surveillance médicale individuelle suffisante. À mon sens, le Civen refuse trop souvent, à tort, d'indemniser, alors qu'il ne dispose pas d'éléments suffisamment probants.

À ce jour, dans le cadre de l'association, entre 2010 et aujourd'hui, environ 600 personnes (dont onze entre 2010 et 2017) ont fait l'objet d'une décision favorable du Civen, ou pu bénéficier d'une indemnisation après condamnation du Civen par le juge administratif. Depuis 2018, les tribunaux administratifs ont condamné à cent reprises le Civen à procéder à ces indemnisations. Sur ces 600 dossiers, 300 concernent des personnes décédées et sont donc portés par la conjointe ou le conjoint.

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