Oui, l'État savait, indéniablement. J'ai dans mes dossiers le rapport d'un colonel adressé au ministère de défense en 1959, qui décrit les essais nucléaires, notamment américains. Certes, en 1959, toutes les données exactes n'étaient pas nécessairement disponibles. Il ne faut pas oublier que les Américains ont également dissimulé un certain nombre d'informations, comme le passage des troupes sous les retombées radioactives. Mais quoi qu'il en soit, l'État ne pouvait l'ignorait.
Les Mémoires du général Ailleret, qui a commandé les premiers essais nucléaires au Sahara décrivent en toutes lettres les dégâts qu'ils avaient occasionnés. Il ne faut pas non plus oublier que c'est uniquement par voie de justice que nous avons obtenu l'accès aux archives en 2013, grâce au travail que nous avons mené avec nos avocats. Ces archives nous ont toutes été envoyées en vrac, par carton. Nous les avons ensuite numérisées sous la forme de trois CD-rom : le premier était destiné à l'association Moruroa e tatou, le deuxième à l'Aven et le troisième est resté au Centre de recherche de la paix et des conflits (CDRPC) à Lyon. C'est à partir de ces archives que Tomas Statius et Sébastien Philippe ont pu ainsi écrire leur livre Toxique. Pour être sûr de son fait, Tomas Statius est d'ailleurs venu passer quarante-huit heures chez moi, pour comparer ses archives avec les miennes.
S'agissant de votre autre question, nous ne suivions pas de visites médicales particulières à l'occasion des tirs ; les seules visites se déroulaient au moment de l'embarquement et du débarquement. En ce qui me concerne, j'ai navigué pendant dix ans et effectué plusieurs campagnes. J'avais dix-sept ans quand je me suis engagé et que je suis parti en Polynésie ; c'était le rêve à cet âge-là, et je dois reconnaître que pour moi, j'allais voir les vahinés.
Pour les autres campagnes, j'ai pu être alerté par la marine de ce certains risques, par exemple dans les Mascareignes dans les années 1975, qui se sont concrétisées notamment par l'évacuation de Diego Suarez et l'indépendance des Comores. J'ai également été averti des risques lorsque je m'étais porté volontaire pour aller au Liban ou lorsque j'ai réalisé pendant trois ans des missions d'assistance et de sauvetage à la mer, quand j'embarquais sur le remorqueur de haute mer.
En revanche, aucun risque ne nous a été mentionné quand nous sommes allés en Polynésie.