Il était demandé à ceux qui étaient les plus proches de l'explosion de se retourner au moment de l'explostion, ou de porter de grosses lunettes de soudeurs pour supporter le flash. Une autre consigne précisait que 90 secondes après le tir, personne ne risquait plus rien. J'ai encore les documents en ma possession. Dans les deux à trois heures qui suivaient, tous les bâtiments rentraient dans le lagon de Moruroa. Dans les rapports Alliot-Marie en 2006 ou du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) en 2007, dans les documents secret-défense que nous avons fait lever en 2013, il est indiqué que le lagon demeurait radioactif, c'est-à-dire qu'il conservait des suspensions radioactives, au moins pendant 21 jours après le tir. Or, pour rassurer le personnel, tout le monde était autorisé à se baigner à partir des quatrième ou cinquième jours.
Je me souviens d'un tir, au cours duquel mon bâtiment était suffisamment éloigné : nous patrouillions en mer, car il y avait également des bateaux néo-zélandais, chinois, américains, russes, coréens qui venaient nous espionner. J'étais quartier-maître mécanicien au service de sécurité. Nous avons reçu une alerte concernant des retombées radioactives. Concrètement, une pluie radioactive se dirigeait vers vous. Nous avions la chance d'être sur un bâtiment équipé pour affronter les retombées radioactives ou chimiques, ce qui n'était pas le cas de 80 % de l'ensemble des bâtiments. La ventilation a alors été stoppée, l'étanchéité activée et un arrosage du pont a été déclenché pour laver le pont.
Mais l'on se rend compte qu'un nanomètre montait en pression, indiquant que des buses étaient bouchées. Mon chef me dit alors : « Sans, il faut que t'ailles voir ! ». Et comme il pleuvait et qu'en plus l'arrosage était activé, je me suis alors mis en maillot de bain, ai pris un masque de plongée et une clé à molette, et je suis allé déboucher les buses, en soufflant notamment dedans car il y avait un peu de sel. Lorsque j'ai quitté le pont, j'ai vu passer les équipes de décontamination avec leurs compteurs Geiger. Je ne peux pas vous dire si j'ai été contaminé ce jour-là, je n'en sais rien. J'ai entendu que 110 000 dossiers médicaux étaient conservés quelque part par le ministère des Armées. Je ne peux pas vous dire où se trouve mon dossier, mais en revanche, je peux vous certifier que personne ne m'a demandé d'effectuer une analyse de sang ou d'urine pour contrôler si je souffrais d'une quelconque contamination. Mon expérience n'est qu'une parmi d'autres.
D'autres vétérans manœuvriers sur Le Médoc témoignent qu'ils ont accompagné des agents du CEA en « tenues chaudes » de protection quand eux étaient en short, et les conduisaient sur les lieux de décontamination. Des incohérences de ce genre étaient monnaie courante.