Dès le milieu des années 1990, des anciens appelés du contingent ou des anciens militaires engagés ayant participé aux essais nucléaires français au Sahara, se sont posé des questions face à des cas de maladies curieux. Beaucoup d'entre eux souffraient notamment de pathologies cancéreuses, mais aussi cardiaques, apparues peu après leur présence sur des sites d'essais. Je rappelle que la France a procédé au total à 210 essais : dix-sept essais dans le Sahara et 193 en Polynésie de 1960 à 1996.
En 1995, Roland Weill et Jacques Muller ont figuré parmi les fondateurs de la Fédération nationale des anciens du Sahara (Fnas). En 1996, Gérard Dellac, ayant déjà entamé une procédure contre l'État, à la suite d'un cancer de la peau apparu dès son retour d'Algérie, a lancé un appel à témoignage dans le journal L'Ancien d'Algérie et est ainsi rentré en contact avec la Fnas, dont Michel Verger était membre.
En juin 2001, cette association a été dissoute, mais plus de 200 anciens membres ont ensuite constitué le socle des premiers adhérents de l'Aven, avec Michel Verger, Jean-Louis Valatx et Gérard Dellac. L'objectif consistait à obtenir l'information sur les conséquences des essais sur la santé, le droit d'accès aux dossiers médicaux complets, une pension ou une indemnisation pour les malades, et défendre collectivement les intérêts des vétérans et de leurs familles.
Ils ont alors décidé de travailler avec les parlementaires pour la mise en place en France d'une législation établissant une présomption de lien avec le service et définir une liste de maladies dont souffrent les vétérans ayant été exposés lors de leur participation à ces programmes. À la même époque, ils ont choisi d'établir des liens avec les autres associations ou organisations. Nos adhérents sont les vétérans, malades ou non, des personnels civils ou militaires qui ont participé aux essais nucléaires français de 1960 à 1996 ; les conjoints et familles ; les amis. Le financement provient des cotisations et des dons. Des subventions diverses ont pu être octroyées jusqu'en 2017.
Dès 2001, l'Aven s'est rapprochée de deux autres associations : l'association 13 février 1960, fondée en Algérie à Reggane et Moruroa e tatou, créée en Polynésie, trente-cinq ans après le premier essai du 2 juillet 1966. Le docteur Valatx a alors lancé un questionnaire de santé aux vétérans. Il a reçu 1 800 réponses, et a constaté que les vétérans ayant séjourné sur les sites des essais nucléaires présentent un pourcentage de sujets malades plus élevé que la moyenne de la population française. Ces essais n'étaient donc pas aussi « propres » que les autorités voulaient bien l'affirmer. Les militaires, le personnel civil et l'ensemble de la population polynésienne n'avaient pas été informés des dangers potentiels et les conséquences étaient minimisées. Les protections étaient très limitées et parfois totalement absentes.
Le combat acharné des associations, notamment l'Aven et Moruroa e tatou, avec le soutien de parlementaires engagés, de journalistes et de témoins a permis en 2010 la promulgation de la loi dite Morin, la création du Civen et de la Commission consultative de suivi des essais nucléaires. Il s'agissait là d'un début de reconnaissance. Mais la joie est très vite retombée lorsque les premiers dossiers ont été rejetés, ainsi que les suivants. En 2014 L'Aven a demandé la création d'une commission sur l'application de la loi, à l'issue de laquelle des modifications ont été établies, instaurant notamment la commission de suivi, qui est passée sous tutelle du ministre de la santé. Le Civen est alors devenu une entité indépendante, comprenant dans ses rangs un médecin désigné par les associations. Le débat contradictoire est également devenu obligatoire.
Parallèlement, les associations ont réclamé la vérité sur la dangerosité des essais et plus de transparence. En 2013, une partie des archives a été déclassifiée. En 2017, sur l'initiative de l'Aven et du médecin désigné par les associations, une réforme du calcul du seuil de contamination a été demandée. La loi a donc été modifiée et corrigée en conséquence par la loi sur l'égalité réelle outre-mer (loi Erom) de 2017.
Cependant, seulement vingt-trois cancers sont reconnus. Les cancers du pancréas, du pharynx, de la prostate, de la thyroïde après la période de croissance, certaines leucémies, les maladies du muscle cardiaque ne figurent pas sur cette liste, qui ne peut être modifiée que par la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires.
Alors que la loi Morin prévoit de la réunir deux fois par an et malgré nos diverses interventions auprès des ministres de la santé successifs, la dernière réunion avec le ministre de la santé Olivier Véran, s'est déroulée le 23 février 2021, il y a plus de trois ans. Pourtant le 19 janvier dernier, Mme Catherine Vautrin, ministre de la santé, a promis de réunir la commission de suivi avant le 1er avril 2024. Le mois de mai touche à sa fin et cette commission ne sera sans doute pas réunie ce semestre. Or il s'agit là du seul lien dont nous disposons avec le ministre de tutelle ; il est indispensable pour faire le point et discuter des difficultés rencontrées. L'Aven redoute une tentative de suppression de la commission de suivi comme cela avait été envisagé en 2019.
Nos vétérans s'inquiètent sur la probabilité de contracter un cancer radio-induit. Ils culpabilisent d'avoir pu transmettre une maladie à leurs enfants et petits-enfants. De plus, l'étude transgénérationnelle promise par le Président Macron lors de la table ronde à l'Élysée en juillet 2021, confirmée lors de son déplacement en Polynésie, peine à voir le jour. En attendant, l'Aven propose aux enfants de compléter un questionnaire sur les pathologies dont ils sont atteints. Cette enquête très modeste peut être un point de départ pour une étude de santé.
A cela s'ajoute un oubli : la loi Morin n'a pas pris en compte l'indemnisation des victimes « par ricochet ». Cette loi ne fait pas mention des réparations envers les proches du défunt reconnu victime des essais. Il s'agit des conjoints, des enfants, des petits-enfants. Comment ne pas reconnaître les conséquences de la maladie et du décès d'un époux, d'un père, d'un grand-père ? La loi Morin a omis cette précision qui semble tout à fait légitime puisqu'elle existe dans l'indemnisation des victimes de l'amiante, pour lesquelles tous les préjudices sont examinés. Comme Maître Labrunie pourra vous le confirmer, les tribunaux administratifs de Strasbourg, Dijon, Rennes et Lyon ont rejeté ces demandes au motif qu'elles sont prescrites. Seul le législateur peut donc y remédier.
À travers ses participations aux cérémonies patriotiques dans les régions et au ravivage de la flamme à l'Arc de Triomphe, l'Aven soutient le devoir de mémoire abordé à plusieurs reprises par les ministres délégués aux anciens combattants. En souvenir de cette période, nous souhaitons l'instauration d'une « Journée nationale des vétérans des essais nucléaires », le 2 juillet, date du premier essai de Polynésie, et date à laquelle nous ravivons chaque année la flamme sous l'Arc de Triomphe. Nous ne réclamons pas une énième journée patriotique, mais simplement une journée du souvenir.
Enfin, il est temps d'ajouter cette période de notre histoire dans les manuels scolaires de manière détaillée, afin d'informer nos enfants et petits-enfants. Avant-hier, j'ai rencontré un petit-fils de vétéran du Sahara ; il ne connaît que très peu l'histoire de son grand-père et ne connaît pas notre association. Une meilleure information est indispensable pour le devoir de mémoire, afin que cette période ne devienne pas une histoire oubliée, que nos vétérans connaissent enfin la vérité. Qui a fabriqué la force de frappe ? Une réponse s'impose pour tous nos vétérans.
Le temps passe, les vétérans sont malades, ils vieillissent. Les familles sont lasses d'attendre une juste reconnaissance envers leur père ou leur époux. Tous perdent l'espoir de voir enfin une reconnaissance à la hauteur de leur préjudice et de leur peine. Que dois-je répondre à ce vétéran, atteint d'un cancer du pharynx ? Aura-t-il une reconnaissance de la part de l'État ? Que dois-je dire à cette dame âgée de 77 ans, qui m'appelle régulièrement pour le dossier de son époux, décédé d'un cancer du pancréas ? Elle attend toujours que son dossier soit présenté. Que dire à ces veufs et veuves qui ont accompagné dignement leur conjoint dans la maladie et qui ont dû faire face à toutes les difficultés qui en découlent, parfois pendant des années ?
Vétérans ou proches attendent depuis trop longtemps une reconnaissance méritée et sont fiers d'avoir participé à ces essais. Nos vétérans ont toujours réclamé justice et vérité. Nous rajoutons à ces termes celui de la transmission pour les générations suivantes. Enfin, je tiens à rappeler que l'Aven est apolitique, ni pour ni contre le nucléaire, et ni pour ni contre l'armée.
Pour conclure, je souhaite brièvement vous présenter notre association, fondée dans le cadre loi de 1901. Son conseil d'administration comporte au maximum de quatorze à vingt membres. Bien qu'elle soit représentée dans l'ensemble du territoire français, elle n'est pas organisée en fédération ; en revanche, elle s'appuie sur des responsables régionaux, idéalement dans chaque région, membres du conseil d'administration, ainsi que sur des responsables départementaux dans un grand nombre de départements. Des responsables membres du conseil d'administration ont été désignés afin d'animer les régions et de faire le lien entre les collectifs.
De plus, une douzaine de responsables juridiques sont chargés de recevoir les dossiers et de vérifier les pièces avant de les adresser au cabinet d'avocats qui, à son tour, les présentera au Civen. Tout au long de la procédure, les vétérans qui ont choisi d'adhérer à l'Aven sont aidés, soutenus jusqu'au bout par les bénévoles au niveau local, régional et enfin par le cabinet d'avocats, jusqu'à l'indemnisation. Enfin, l'Aven a adhéré au Comité de la Flamme en 2010, est devenue membre de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre en 2012 et de l'Union nationale des combattants en 2015.