Oui, car cela a donné l'impression qu'il existait des moyens financiers et qu'on pouvait distribuer l'argent. C'était en quelque sorte un pré- « quoi qu'il en coûte ». La réponse à cette crise, si indéniable soit cette dernière, a été excessive.
Permettez-moi d'ajouter un souvenir personnel qui m'a beaucoup marqué. À l'automne 2017, nous discutions la première partie de la loi de finances pour 2018, consacrée aux recettes. Au banc, le ministre du budget était Gérald Darmanin. Le budget prévoyait une augmentation de la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, mais cette augmentation n'était pas limitée à 2018 et devait être reconduite en 2019, 2020, 2021 et 2022. J'étais alors président de la commission des finances et j'ai pris la parole en termes on ne peut plus modérés pour dire qu'à deux reprises, j'avais connu une envolée du prix du baril : en 2000, alors que Lionel Jospin était Premier ministre, on avait inventé en catastrophe la TIPP – taxe intérieure sur les produits pétroliers – flottante, qui n'était pas très efficace ; en 2005, quand j'étais rapporteur du budget, cette augmentation est intervenue au moment où les Français partaient en vacances et nous étions tout à fait désemparés. Peut-être fallait-il augmenter la taxe ou instaurer une taxe carbone, mais il fallait s'en tenir à 2018 et assurément ne pas étendre la mesure aux années suivantes. De fait, dès qu'on franchit le périphérique, le prix du carburant revêt la même importance que le prix du blé et du pain sous l'Ancien Régime. J'ai dit à Gérald Darmanin – le compte rendu des débats qui figure Journal officiel en fait foi – que même à Tourcoing, où les gens l'aimaient bien, certains descendraient peut-être dans la rue si le prix du baril augmentait. Au moment où je sortais de la salle, juste derrière moi, Valérie Rabault, députée socialiste et ancienne rapporteure du budget, a dit exactement la même chose, expliquant que le cumul de toutes ces mesures représentait 45 milliards d'euros de pouvoir d'achat. On nous a répliqué que tout cela ne pesait guère. En d'autres temps, lorsque deux élus respectés, l'un de droite et l'autre le gauche, disaient la même chose, on les écoutait.
Cette situation a provoqué la crise des gilets jaunes, qui a conduit à prendre des mesures en catastrophe. Cela a cassé une dynamique et préparé le terrain au « quoi qu'il en coûte ». Sur ce dernier point, je précise que j'ai voté sans aucun état d'âme toutes les mesures prises dans les lois de finances rectificatives de 2020 et de 2021 en faveur du chômage partiel et des prêts garantis par l'État. C'est ensuite seulement que je me suis interrogé sur les conditions de la mise en place du bouclier tarifaire et d'autres mesures.