Je suis très heureux de pouvoir parler de l'évolution de la dette publique au cours des trente années où j'ai siégé, sans interruption, à la commission des finances de l'Assemblée. Je me propose de situer ce qui s'est produit depuis 2017 dans une perspective de temps long, à savoir sur les trente années pendant lesquelles j'ai suivi plus particulièrement ces questions.
En 2017, 2018 et 2019, les taux de croissance étaient raisonnables mais les efforts pour réduire le déficit et l'endettement insuffisants. Lorsque la crise sanitaire a frappé, à partir de 2020, il a fallu mettre en place un ensemble de mesures – que j'ai votées à l'époque, comme du reste la quasi-totalité du groupe parlementaire auquel j'appartenais. Une fois instaurées, ces mesures, qui ont évidemment généré un déficit et un endettement importants, sont restées trop longtemps en vigueur. Certaines étaient mal calibrées, comme le bouclier tarifaire. Par ailleurs, alors que ce n'était pas prévu dans le programme présidentiel de 2017, les effectifs publics, notamment de l'État et des organismes qui en dépendent, ont continué à progresser.
Cela m'a rappelé ce que j'avais vécu à plusieurs reprises depuis 1993. En 1999, 2000 et 2001, tout d'abord, alors que la croissance était excellente et que le déficit baissait substantiellement, au lieu de mettre le désendettement au cœur du débat, comme l'aurait justifié la forte progression de l'endettement durant la crise de 1991 à 1993, on a engagé des dépenses supplémentaires – qui avaient, j'en conviens, leur intérêt –, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou les baisses d'impôts dites « Fabius » de 2000 et, évidemment, les 35 heures. Nous nous retrouvions ainsi, alors que l'économie faiblissait, au début des années 2000, avec des dépenses nouvelles et des recettes qui fléchissaient, sans avoir profité de cette période pour nous désendetter.
Il en a été de même quelques années plus tard : en 2005 et, plus encore, en 2006, pour la première fois, à la suite des travaux de la commission Pébereau, on s'interrogeait sur la dette et un vrai effort était engagé. En 2007 et 2008, les taux de croissance ont été tout à fait raisonnables et a été adoptée la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi Tepa », dont j'ai été rapporteur. Or, dès 2007, puis à nouveau en 2008, le déficit public, qui n'avait aucune raison d'augmenter par rapport à 2006, s'est accru. Fin 2008, et surtout en 2009, la crise des subprimes nous a obligés à soutenir le système financier. J'ai été rapporteur des différents textes qui ont été consacrés à ce problème à cette époque : en 2009, le déficit public atteignait près de 8 %.
Pour avoir vécu cette même situation à trois reprises en trente ans, je peux dire qu'il s'agit d'une singularité de la dette publique et des déficits de la France. Dans des pays comme l'Espagne ou le Portugal – pour me limiter à des pays du Sud car, évidemment, les pays du Nord, comme l'Allemagne, ont toujours tiré parti des périodes où la situation économique était un peu meilleure pour réduire leur dette et se constituer des marges de manœuvre. En effet, nous avons absolument besoin de l'outil budgétaire contracyclique pour augmenter les déficits et recourir à l'endettement en cas de crise.
De surcroît, nous sommes aujourd'hui face à un mur d'investissements : la réindustrialisation, la défense et la transition écologique appellent des centaines de milliards d'euros, mais nous sommes dans l'incapacité d'utiliser la dette, dont ce devrait pourtant être l'objet, pour financer de l'investissement. Dans l'annexe du budget 2024, où le déficit budgétaire de l'État s'élève à 145 milliards, on constate que l'investissement – sans entrer dans les discussions sur le périmètre de cette notion – n'est que de 30 milliards : cela signifie que nous empruntons 145 milliards pour en avoir 30. Comme en matière monétaire, la mauvaise dette a peu à peu chassé la bonne. En 1993, lorsque je suis devenu député, la dépense d'investissement représentait 20 % du budget, contre 7 % à 8 % aujourd'hui.