Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Pierre-Mathieu Duhamel

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des français

Pierre-Mathieu Duhamel, ancien directeur du budget :

Le Haut Conseil des finances publiques représente évidemment une innovation bienvenue. Il s'agit d'une vigie et d'un « filtre » conduisant le Gouvernement à justifier son équation en amont. Le Parlement dispose ici d'un avis externe qui lui permet de se faire sa propre opinion. Ce système a contribué à améliorer la qualité de la prévision associée aux différentes lois de finances. Cela ne le rend pas pour autant infaillible.

S'agissant des facteurs d'évolution de la dette, le graphique n° 7 du document que je vous ai transmis ce matin apporte un éclairage intéressant. En chimie, on pourrait qualifier la dette comme étant, par nature, un produit fatal. Ce graphique montre que si l'évolution de notre dette est continue, elle n'est pas constante. À ce titre, trois points de surgissement sautent aux yeux.

Le premier a trait à la « petite » récession de 1993, la première depuis le second conflit mondial, qui nous a coûté environ vingt points de dette supplémentaire, la faisant passer de 40 % du PIB à 60 % du PIB. Le deuxième est lié à l'épisode de la crise financière, faisant passer cette dette d'un palier de 65 points de PIB à un palier de 85 points de PIB. Le plus récent, en lien avec la crise sanitaire, nous a fait passer d'un palier légèrement inférieur à 100 % du PIB à un palier supérieur à 110 % du PIB.

Ensuite, il est toujours possible d'établir une décomposition et de réattribuer des morceaux de dette à des facteurs spécifiques, par exemple la chute des recettes résultant du ralentissement économique ou les mesures qui ont été prises pour contrer cette chute d'activité, soit dans le cadre de la récession de 1993, soit dans le cadre de la crise financière, soit dans le cadre de la crise sanitaire. Il est d'ailleurs à noter que la dernière crise nous a coûté moins, en termes d'endettement, que les deux précédentes.

Lorsque j'indique que la dette ne crée pas de la croissance, à la différence de la dépense, je fais référence à l'utilisation de l'argent public et à la manière dont il est affecté. Payer des charges d'intérêts ou financer des programmes de recherche ne revient pas au même : l'impact potentiel sur la croissance à horizon de cinq ans ou dix ans n'est pas identique dans les deux cas. Le plus mauvais usage qu'il est possible de faire de l'argent public est, de toute évidence, la charge d'intérêt. Elle ne fait que représenter la sommation des décisions publiques passées. Or en matière d'utilisation de l'argent public, l'essentiel concerne la projection vers le futur. De ce point de vue, plus les charges d'intérêt sont limitées et mieux nous nous portons.

En termes de capacité de choix, il est évident à mes yeux que nous entrons dans une période où la charge d'intérêt ayant vocation à s'accroître – à la fois parce que nous avons connu une hausse des taux et parce que le stock augmente –, la marge de manœuvre se réduira mécaniquement, en termes d'allocation de l'argent public. Ceci me paraît constituer le problème central que nous pose en réalité notre endettement : il réduit notre capacité de choix.

S'agissant de l'effet d'éviction de l'appel aux marchés pour financer la dette publique face au financement des investissements privés, je suis moins spécialiste que d'autres. Cependant, je n'ai pas le sentiment que dans l'état actuel des marchés, il existe des difficultés particulières à financer l'ensemble de l'économie privée et la dette publique.

Je vous rejoins bien entendu sur l'idée que certaines dépenses ont plus de portée que d'autres pour l'avenir. À ce titre, la justification de leur financement par emprunt est évidemment soutenable. Simplement, pour l'instant, bien au-delà de nos dépenses d'investissement, nous finançons nos dépenses totales par de l'endettement. Ici, il est possible de soutenir que des investissements immatériels ont leur place dans cette logique, mais nous rentrerions à ce moment-là dans un débat de classification, consistant à répartir les dépenses entre ce qui prépare l'avenir et ce qui ne le prépare pas. Cet exercice mérite d'être conduit, même s'il me semble dépasser l'objet de votre commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.