Dans la chronique parue dans L'Opinion, j'indique que la question des finances publiques fait l'objet de débats d'experts, en oubliant qu'il existe un double volet très politique. Le premier volet porte sur le choix de la dépense publique, qui est évidemment un choix politique ; le deuxième a trait aux conséquences de la dépense publique et de la dette.
La question du choix recouvre trois autres questions. La première porte sur les priorités que la collectivité nationale se donne en termes de financement public aujourd'hui, mais aussi pour l'avenir, dans un pays qui vieillit et qui est confronté à des défis importants en matière de transition écologique et numérique, lesquels supposeront des investissements supplémentaires dans un contexte de finances publiques contraint et de diminution du nombre d'actifs. Dans ce cadre, une dette importante ne semble pas constituer un atout pour l'avenir.
La deuxième question porte sur l'efficience de la dépense publique. Aujourd'hui, sommes-nous certains que les dépenses sont efficaces et que les usagers et agents publics sont satisfaits ? Sommes-nous certains que nos services publics se positionnent favorablement dans la compétition internationale ? J'aurais plutôt tendance à répondre par la négative, en résumant la situation de la manière suivante : une débauche de ressources, mais une pénurie de moyens ; une abondance de fonctionnaires, mais une absence de services publics ; une omniprésence de l'État, mais une défiance croissante des électeurs. Des efforts doivent donc être réalisés en matière d'efficience.
La troisième question concerne la volonté de nos gouvernants à réformer. J'ai eu la chance d'être rapporteur de la commission Attali en 2007-2008, qui avait formulé un ensemble de propositions pour réformer la dépense publique et le fonctionnement de l'État en France. Je ne suis pas convaincu qu'elles aient été suivies d'une mise en œuvre, ni d'effets. Le rapport Pébereau de 2005 constatait déjà que « le choix de la facilité depuis vingt-cinq ans est la principale explication du niveau très préoccupant de notre dette publique ». Ce constat semble à maints égards toujours d'actualité.
Ensuite, il m'apparaît que le niveau des dépenses publiques en France entraîne un certain nombre de conséquences néfastes, liées aux trois questions que j'évoquais, et notamment l'absence d'efficience de la dépense publique. La première illustration se traduit par un délitement du tissu national : il existe aujourd'hui en France un sentiment d'abandon social éprouvé par une partie de la population française, alors même que le niveau de dépenses publiques est extraordinairement élevé.
La défiance est également sociétale : une explication du vote des Français peut être trouvée dans le fait qu'une partie d'entre eux a l'impression que la dépense publique est d'une certaine manière gaspillée ou alors confisquée par d'autres. Il se crée alors ce que j'ai appelé dans un de mes livres « une guerre pour les miettes » : les citoyens français se disputent pour les miettes de dépenses publiques qui demeurent. Chacun veut obtenir une part du « gâteau » de la dépense publique. Certains veulent limiter le nombre de personnes qui ont le droit d'y accéder, ce qui se traduit par des discours hostiles à l'entrée sur le marché du travail d'une certaine population ou hostiles à l'immigration – alors qu'elle a plutôt des effets favorables, économiquement parlant.
Je pense que l'une des conséquences néfastes de l'inefficience des dépenses publiques est qu'elle conduit à un étiolement de l'esprit démocratique, c'est-à-dire à l'impression qu'en dépit de ressources extraordinaires, les moyens ne sont pas au rendez-vous et les services publics sont inefficients. Cela ne favorise pas une confiance élevée envers les institutions politiques de notre pays.
Enfin, l'accroissement de la dépense publique a des effets évidemment néfastes sur la liberté individuelle, à travers les prélèvements obligatoires, qui ne cessent de croître dans notre pays. Cette croissance peut paraître très légitime, mais un prélèvement obligatoire est, par définition, une atteinte au droit de propriété. Il suffit de relire les débats parlementaires de vos prédécesseurs, lorsque l'impôt sur le revenu a été créé en 1914. À l'époque, l'essentiel des débats portait sur l'intrusion de l'administration dans la vie privée des Français. Il me semble que cette question de la liberté individuelle est aujourd'hui assez absente des débats sur les finances publiques.
L'autre volet, après celui des prélèvements obligatoires, concerne la dépense, puisque dans un régime démocratique, il est naturel que les personnes qui bénéficient des financements collectifs fassent l'objet d'un contrôle social. Une subvention à une entreprise doit faire l'objet d'un contrôle pour vérifier qu'elle est utilisée dans le but établi par l'État ou par le Parlement. De même, une personne qui bénéficie d'une aide sociale doit légitimement faire l'objet d'un contrôle pour vérifier que l'argent de la collectivité est utilisé à bon escient. D'une certaine façon, plus la dépense sociale croît, plus le contrôle social croît.
En somme, un certain nombre de questions politiques liées à la dépense publique et aux finances publiques sont, à mon à mon avis, insuffisamment présentes dans le débat public.