Quelques mois après la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires, je suis à nouveau auditionné à l'Assemblée nationale, cette fois-ci par la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la France, qui me semble d'une grande importance. En quittant le Gouvernement en juillet 2020, j'ai entièrement quitté la politique, mais je me tiens au courant de l'actualité.
Je souhaite, dans un premier temps, casser le discours décliniste et pessimiste ambiant. Nous n'avons pas perdu notre souveraineté alimentaire, même s'il convient de la renforcer : les chiffres sont plutôt bons, sauf dans quelques filières, notamment celle des fruits et légumes – nous produisons 60 % des légumes consommés et 40 % des fruits –, dont les difficultés sont vraisemblablement dues à l'appétence croissante de nos compatriotes pour les fruits tropicaux et à l'évolution du climat.
Deuxièmement, à mes yeux, la souveraineté alimentaire passe par une agriculture productive capable de nourrir la grande masse de nos concitoyens. Certes, il existe des niches, comme les signes de qualité ; certes, l'agriculture biologique, malgré les difficultés qu'elle a traversées, est un secteur important – lorsque j'étais président du département de la Drôme, je m'étais d'ailleurs fixé l'objectif d'en faire le premier département biologique de France, tant en nombre de producteurs qu'en surface agricole utile, objectif que nous avions atteint. Néanmoins, l'essentiel est de nourrir la masse de nos concitoyens dans un contexte économique compliqué. Cela implique une production de valeur et des revenus pour les agriculteurs. C'est un lieu commun que de le rappeler, mais nous sommes dans une économie ouverte.
Troisièmement, il y a des conclusions à tirer de la crise du covid-19. Lors du premier confinement, il y a eu une grande crainte : la chaîne alimentaire allait-elle tenir ? Il faut se rappeler les queues dans les supermarchés et les caddies remplis de monticules de Sopalin… Dans l'ensemble, la chaîne agroalimentaire a tenu. Notre fragilité tient aux intrants, c'est-à-dire aux engrais et à l'alimentation végétale. Au printemps 2020, le Président de la République a affirmé l'objectif de préserver notre souveraineté alimentaire, laquelle passe par le maintien de la productivité malgré la baisse des intrants et les plans Écophyto successifs. Nous devons avoir une agriculture sûre, saine et tracée.
Quatrièmement, la première difficulté de l'agriculture est le manque de main-d'œuvre. Dans la filière fruits et légumes – je viens d'un département arboricole –, les exonérations de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE) ont permis de contenir le problème. Toutefois, la main-d'œuvre sera un sujet essentiel dans les prochaines années car la réglementation française est différente de celle des autres pays européens, y compris l'Allemagne.
L'agriculture a beaucoup changé. La France est passée de l'agriculture patriarcale de la IIIe République à l'agriculture conjugale de la révolution silencieuse, puis à l'agriculture familiale du XXe siècle. Nous connaissons actuellement une mutation vers une agriculture entrepreneuriale, déléguée et intégrée, voire clustérisée.
Il faut noter que, lors des manifestations de l'automne dernier qui ont conduit à la constitution de la commission d'enquête, tous les Français soutenaient les paysans. Trois ans plus tôt, au salon de l'agriculture de 2020, j'avais fait inscrire sur le stand du ministère : « Non à l' agri-bashing ». Les agriculteurs étaient alors vilipendés pour leur usage des pesticides ; on les accusait d'être des productivistes et des empoisonneurs. Pourtant, pour assurer la sécurité agricole, nous avons besoin d'une agriculture productive. Dans les années 1960, il y avait 1,6 million d'agriculteurs ; en 2010, ils étaient 500 000 ; aujourd'hui, ils ne sont plus que 400 000. La loi d'orientation agricole, adoptée hier en première lecture, fixe un objectif plancher de 400 000 exploitations agricoles. C'est essentiel pour préserver notre souveraineté.
Enfin, pour que les agriculteurs produisent, il faut qu'ils aient la possibilité d'évoluer. Nous produisons environ 40 % du poulet consommé en France – le reste vient d'Amérique du Sud, d'Ukraine ou d'ailleurs. Tout le monde est d'accord pour réclamer plus de produits français, mais où est-il possible d'installer un poulailler ? Nulle part : si le conseil municipal d'une commune accepte le projet, une association se créera aussitôt et déposera un recours. Il y a une certaine schizophrénie. Nous sommes tous d'accord sur les grandes orientations, mais pas sur les conséquences à en tirer.