J'interviens également au nom du groupe de travail consacré à la question des parents concernés par l'intervention de la protection de l'enfance dans leur vie familiale, qui a été créé au sein du CNPE. L'intervention de la protection de l'enfance dans une famille, qu'elle soit demandée par les parents ou non, qu'elle se passe bien ou difficilement, a des conséquences sur les enfants. Je ne vais pas développer tout ce que nous ignorons sur ces parents, tant ils sont invisibles dans le paysage de cette politique publique. Cependant, parmi les quelques informations que nous possédons, il est établi qu'ils sont très nombreux et que plus de 300 000 enfants sont concernés. Ces parents se trouvent souvent en situation de grande précarité. Les plus pauvres sont massivement touchés par la protection de l'enfance et le placement des enfants en particulier. La majorité d'entre eux ne sont pas maltraitants ; ils rencontrent des difficultés qui les empêchent de fournir à leurs enfants des conditions propices à leur épanouissement. Il est crucial de ne pas réduire cette population à sa frange la plus dysfonctionnelle et violente. Des études, bien que restreintes, montrent que, sur 809 enfants en 2009, seulement 22 % des placements étaient dus à des maltraitances. Cela signifie donc que les autres placements avaient des causes différentes.
En lien avec la question posée sur les conséquences de la crise des ressources humaines sur les dispositifs de protection de l'enfance, il est important de souligner que cette crise affecte non seulement les professionnels et les institutions, mais également le droit des enfants à voir leurs parents, et réciproquement, c'est-à-dire le droit des parents à continuer à exercer leur rôle parental. Je pense notamment à une petite fille de 6 ans dont j'accompagne la famille à Lille. Elle a été placée le mois dernier, sans aucune notion de violence intrafamiliale, et le juge a décidé qu'elle pourrait voir ses parents une heure par mois. Une heure par mois : le calcul est simple. Malgré les reproches adressés aux parents, ils disposent de douze heures par an pour tenter d'améliorer le lien qui les unit à leur enfant et pour mettre en œuvre leurs compétences parentales. Très concrètement, le manque de ressources humaines a conduit les juges à ajuster les propositions faites aux parents et aux enfants en fonction des capacités des services à les mettre en œuvre. Le juge sait que, s'il décide que cet enfant doit voir ses parents deux heures par semaine, ce ne sera tout simplement pas possible. Le service n'en a pas les moyens humains. Il ne veut donc pas faire de promesses qu'il ne pourrait pas tenir. Je précise que ces parents ont eux-mêmes réalisé une information préoccupante et se retrouvent avec leur enfant placé. Ils avaient demandé de l'aide, mais celle-ci ne correspond pas à ce qu'ils attendaient.
La protection de l'enfance, dans sa mission la plus large et la plus noble, selon le code de l'action sociale et des familles, est définie comme un service aux familles et participant à une politique familiale. Au CNPE, nous nous efforçons continuellement d'éviter de réduire la protection de l'enfance à la question du placement, que l'on essaie d'éviter ou de réaliser de la manière la moins dommageable possible. Même la notion de prévention est souvent abordée uniquement en relation avec le placement, comme si elle n'existait que pour l'éviter. Compte tenu des moyens alloués à la prévention, les mesures à domicile n'ont souvent pas d'impact suffisant, ce qui conduit inévitablement à la nécessité de placer un enfant. Pourtant, dans le cadre d'une politique publique préventive de soutien global à la famille, incluant une dimension de protection de l'enfance, imaginer une approche plus large ne pose pas de problème. C'est même déjà prévu dans les lois. Il s'agit de disposer de moyens pour les appliquer efficacement.
À cet effet, il est essentiel de fournir un soutien approprié aux parents avant la naissance, qui comprendrait des actions de protection graduées et ajustées en fonction des situations, tant pour eux-mêmes que pour leurs enfants. Cela implique de prendre en considération les conditions de vie, d'emploi et de logement de ces parents, notamment lorsqu'ils vivent dans une grande pauvreté. Faire famille dans de telles conditions est une expérience infernale et ces parents ont davantage besoin d'aide que de sanctions. La protection et l'éducation des enfants ne relèvent pas uniquement de la responsabilité des parents et ne se résument pas à une interaction entre parents et travailleurs sociaux. Aucun parent, qu'il soit pauvre ou non, ne peut y parvenir seul, et aucune institution ne peut y suffire. C'est une responsabilité collective de la société. Cela ouvre des perspectives au-delà de la dichotomie traditionnelle entre l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) et le placement. Les parrainages de proximité, la priorité aux ressources familiales et environnementales de l'enfant sont des pistes à explorer et à mobiliser si nécessaire. Les séparations ne devraient intervenir que lorsque toutes les autres possibilités d'action se révèlent insuffisantes ou inadaptées, et elles doivent cesser dès que possible, sans perdre de vue l'intérêt supérieur de l'enfant.
Il est également crucial de garantir une participation effective des parents au processus décisionnel. Si des progrès sont réalisés pour les enfants, ils sont nettement moins perceptibles pour les parents, ce qui entraîne des effets délétères et durables dus à des situations de discrédit et de stigmatisation. Cela pousse les parents à éviter les lieux d'accueil et de soutien, pourtant publics et souvent gratuits, où règne une grande bienveillance, comme la PMI et les lieux d'accueil enfants-parents, au détriment de leurs enfants. Cette attitude pourrait leur être reprochée, alors qu'en adoptant leur point de vue, on peut comprendre les logiques à l'œuvre.