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Intervention de Anne Devreese

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 13h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Anne Devreese, présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) :

En ce qui concerne la gouvernance, qui est responsable, finalement ? Tout dépend du contexte. Mon idée est de trouver un équilibre difficile mais nécessaire entre les niveaux interministériel et décentralisé. En matière de solidarité, les départements sont responsables, mais dans le domaine de la santé et de la scolarité des enfants, c'est bien l'État qui est en charge. Dans tous les cas, je tiens à souligner que c'est le ministre compétent qui est interrogé par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies et, par substitution, le préfet de territoire qui est responsable de la situation de danger dès lors que la santé et la moralité sont compromises sur son territoire, surtout pour une personne vulnérable. Même dans un cadre décentralisé, l'État régalien doit répondre de certaines situations.

Il n'est pas question pour nous de dissocier les champs de compétence, mais il ne faut pas non plus les confondre. Vous mentionnez qu'il existe 101 politiques publiques de protection de l'enfance, ce qui est exact. On pourrait parler de la régularisation des MNA ou de l'accueil en UAPED. Selon que l'on habite à Lille ou à Nantes, l'accueil d'un enfant peut varier considérablement, même lorsqu'un risque vital est en jeu. La régularisation influence totalement le projet de vie de ces enfants. Ainsi, la question des disparités territoriales concerne non seulement les collectivités locales, mais aussi l'État régalien lui-même. C'est un véritable enjeu pour nous.

Le CNPE a toujours manifesté son immense attachement à l'organisation des comités départementaux de la protection de l'enfance (CDPE). Nous avons exprimé notre incompréhension face à l'absence d'imposition généralisée de ces comités par la loi du 7 février 2022. Cette position est majoritaire au sein du Conseil et nous semble être une ligne directrice à suivre. Pour répondre plus concrètement, la question de la recentralisation est stimulante car elle permet de poser les vraies questions, notamment en matière de financement, de contrôle et des rôles respectifs de l'État et des collectivités dans la mise en œuvre de la politique publique de protection de l'enfance. Cependant, il est largement reconnu que cette question reste théorique, car l'État n'a pas actuellement la capacité organisationnelle pour conduire cette politique publique, indépendamment des questions de financement. Il est donc essentiel de défendre la responsabilité conjointe de l'État et des collectivités dans la conduite des missions de protection de l'enfance. Le Conseil n'a pas encore débattu de manière prospective sur ce sujet, mais il est clair, notamment au sein de notre bureau, que la recentralisation ne constitue pas la réponse aux drames actuels. Il est important de ne pas déplacer le sujet. Lorsque nous appelons à des réponses immédiates sur certaines questions, la recentralisation ne peut pas constituer une réponse immédiate mais plutôt une action à envisager à moyen ou long terme.

Concernant la sécurisation des recettes, il est crucial de souligner que la question de l'adéquation des financements se pose. Ceux-ci sont largement liés aux dotations globales de fonctionnement. Dans un contexte d'augmentation considérable des besoins et d'exigences accrues pour les enfants et les familles, il est légitime de se demander si ces ressources sont suffisantes pour les collectivités. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il faille globalement plus de ressources, mais il est évident que, dans certains domaines comme la santé, des financements supplémentaires pourraient être nécessaires. Un plan Marshall, comme évoqué, implique des dépenses, mais aussi des synergies et des alliances.

Si les services travaillaient davantage ensemble, nous gagnerions en efficacité. Cependant, n'éludons pas la question des dépenses. Nous nous sommes exprimés à ce sujet. Il nous semble que prendre soin des enfants et investir dans leur protection est non seulement un impératif éthique, mais aussi un investissement humain et financier. Une étude récente indique que répondre aux besoins précoces des enfants victimes de violence permettrait d'économiser à terme 38 milliards de dollars. Nous constatons un écart considérable entre la connaissance des économies potentielles et l'investissement que nous sommes capables de réaliser. Autrement dit, nous restons bloqués sur des arbitrages à très court terme, quel que soit le niveau auquel nous nous adressons.

Vous nous avez demandé si la protection de l'enfance est une variable d'ajustement dans les budgets départementaux. Nous collaborons avec de nombreux départements et de véritables alertes nous remontent des services départementaux. Les départements ont globalement investi beaucoup plus d'argent dans la protection de l'enfance ces dernières années grâce, pour beaucoup d'entre eux, à l'évolution favorable des DMTO en 2021-2022, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les craintes sont donc maximales. Ce qui nous terrifie, ce n'est pas que la politique publique de protection de l'enfance soit une variable d'ajustement, car il y a une prise de conscience des présidents de département de leur responsabilité, y compris pénale, face aux drames de plus en plus médiatisés concernant la protection de l'enfance. Des variables d'ajustement existent toutefois au sein des politiques publiques, y compris celle de protection de l'enfance, autour d'interventions qui paraissent moins urgentes. Il est même envisagé, dans l'adversité, de faire sortir certains enfants des dispositifs de l'ASE, ce qui soulève de véritables questions au sein de notre groupe « sentinelle ». Les sorties de l'ASE posent un énorme problème, car nous savons aujourd'hui, de manière scientifique, que les allers et retours entre l'ASE et la famille sont destructeurs à terme pour les enfants. Si nous jouons à l'apprenti sorcier alors que les enfants s'intègrent bien dans le dispositif, nous courons un risque considérable. Cela pourrait finalement nous coûter infiniment plus cher, au-delà des drames potentiels pour les enfants et leurs familles.

Concernant les MNA, je n'ai pas abordé ce sujet volontairement, car il me semble que cette question très sensationnaliste occupe beaucoup l'espace médiatique. Bien que ce soit un véritable sujet, il ne constitue pas l'explication de la crise actuelle. Tout ce que j'ai mentionné précédemment existe indépendamment de la question des MNA. Tous les territoires ne sont pas concernés de la même manière par cette question. L'activité augmente et la population des MNA représente une part de cette augmentation globale, en particulier pour les plus âgés. Cependant, cette part reste relativement modeste par rapport à l'évolution globale que j'ai décrite. Elle concerne principalement les jeunes majeurs et les grands adolescents. Entrant tard dans les dispositifs, ils sont donc proportionnellement plus représentés sur la tranche d'âge de 18 à 21 ans : c'est arithmétique.

La prise en charge des personnes se présentant pour être mises à l'abri pose aussi une difficulté majeure. Contrairement aux MNA, qui sont confiés sur décision judiciaire après évaluation, la majorité des personnes cherchant à être mises à l'abri sont des adultes. Or, bien que les textes internationaux nous imposent une présomption de minorité, nous, acteurs de la protection de l'enfance, faisons face à une situation délicate. Nous ne pouvons pas accueillir enfants et adultes dans les mêmes lieux et, parfois, nous suspectons même la présence de passeurs parmi ceux qui se présentent. Il est difficile de distinguer les victimes. La pression sur la mise à l'abri est donc particulièrement forte dans certains territoires. Les personnes non concernées par le droit d'asile n'ont souvent d'autre recours que de se présenter comme MNA, quel que soit leur âge, ce qui complique la tâche des territoires d'accueil. Cette problématique est cruciale pour ceux-ci, mais elle n'est pas généralisée à l'ensemble du système de protection de l'enfance. Le CNPE a toujours soutenu que l'évaluation de la minorité et la mise à l'abri relèvent de la compétence régalienne de l'État, sous l'autorité du ministère de la justice et sous le contrôle du juge. Ce que nous questionnons actuellement, c'est la dimension régalienne des vérifications documentaires, qui sont une prérogative de l'État. Il existe déjà une cellule d'orientation des MNA au ministère de la justice. Pour le CNPE, la question de l'orientation vers le dispositif de protection des enfants devrait être organisée du côté de la PJJ.

Le décret sur les taux d'encadrement n'est pas prévu par la loi du 7 février 2022. Cet engagement avait été pris par le secrétaire d'État Adrien Taquet lors des débats parlementaires, mais l'amendement correspondant avait été retiré. Parmi les décrets prévus par la loi, il semble que seul celui sur la base nationale d'agrément des assistants familiaux reste à prendre. Nous avons été partiellement saisis de ce texte. Le CNPE s'était prononcé en faveur des taux d'encadrement, non pas pour réactualiser un projet de décret abandonné depuis longtemps, car il divisait le secteur de la protection de l'enfance et les associations, mais en abordant les taux d'encadrement autrement, en se fondant sur les besoins fondamentaux des enfants plutôt que sur l'offre de services. Le CNPE a sollicité le docteur Marie-Paule Martin-Blachais, qui a présidé la démarche de consensus sur les besoins de l'enfant, pour l'aider à élaborer une recommandation fédérant les différentes parties prenantes. Le Conseil est favorable à ce que cette question soit normée, comme dans d'autres politiques publiques. Le texte proposé se concentre sur les besoins des enfants en fonction de leur âge et de leurs besoins particuliers. Le gouvernement a été très attentif à notre proposition. Nous avons insisté sur la nécessité d'un effort des collectivités territoriales pour garantir des taux d'encadrement définis en fonction des besoins fondamentaux des enfants. Cependant, nous n'avons pas été entendus sur la partie concernant la contribution de l'État pour les enfants en situation de handicap, notamment sur la mise en place de forfaits de soins. Il est donc crucial d'examiner notre proposition sur les taux d'encadrement. Le coût de 1,5 milliard d'euros a été calculé par l'Association nationale des maisons d'enfants à caractère social (Anmecs) et le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso) en fonction d'une organisation liée à des normes conventionnelles sur les tailles d'unités. Le texte initial est un peu décalé par rapport aux travaux que nous avons réalisés et, surtout, il ne prend pas en compte la révision du décret de 1974 concernant les enfants de 0 à 3 ans. Or cette question est une préoccupation majeure du CNPE, car nous devons commencer notre travail sur les taux d'encadrement en tenant compte de cette tranche d'âge.

Concernant l'orientation des professionnels, certains se tournent vers de nouvelles formes d'agriculture, comme la culture des fraises, et deviennent paysans. C'est assez fréquent.

En ce qui concerne l'augmentation du taux de suicide des adolescents, les données de Santé publique France indiquent que nous ne disposons jamais de certitudes absolues. Il existe tout de même un phénomène singulier, notamment chez les très jeunes filles : on a pu observer, de manière très vulgarisée, qu'elles passent à l'acte plus tôt et utilisent des méthodes plus violentes, pour des actes qui peuvent rapidement devenir définitifs. Cela n'était pas connu, ni dans les services de protection de l'enfance, ni de manière plus générale.

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