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Intervention de Anne Devreese

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 13h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Anne Devreese, présidente du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) :

En matière de gouvernance, le CNPE a la conviction profonde que, face aux défis actuels, la pire situation serait un renvoi des responsabilités entre les différents acteurs. Ce risque est permanent, surtout lorsque les ressources manquent de part et d'autre, ce qui incite à renvoyer la responsabilité sur autrui. Notre force réside dans la diversité de nos membres, qui représentent toutes les institutions. À titre personnel, j'ai exercé dans les services de l'État, en collectivité et j'ai été directrice générale d'une association. Cette expérience m'aide à résister à la tentation de renvoyer les responsabilités sur les autres, surtout dans un contexte inédit comme celui que nous traversons. Nous sommes convaincus que seule une mobilisation collective, où chacun fait un pas de côté, permettra de faire face aux défis actuels, peut-être pas de la meilleure manière, mais suffisamment pour tenir bon jusqu'à ce que les évolutions structurelles en cours produisent des effets.

Nous disposons aujourd'hui de plus de connaissances, de vigilance et d'exigences, mais avec des outils et des lunettes du passé, ce qui fait craquer le système. Le problème, c'est qu'au moment où il craque, nous n'avons plus la disponibilité nécessaire pour penser les autres évolutions. L'écart est important entre ce que nous aimerions accomplir et ce que nous réalisons réellement. Par exemple, au sein du CNPE, nous sommes très animés par la question de la permanence des liens affectifs des enfants et la possibilité de penser un accueil durable. Ces sujets, assez nouveaux pour les institutions, nécessitent sérénité, formation et soutien dans l'accompagnement des nouvelles pratiques. Or, aujourd'hui, ces sujets sont balayés. Actuellement, nous avons moins de disponibilités dans nos établissements classiques, comme les pouponnières, et nous recourons donc davantage à ces types de réponses institutionnelles. Même dans les grandes masses, on observe des changements : moins d'accompagnement à domicile, moins d'accompagnement renforcé, moins de tiers dignes de confiance. Et très paradoxalement, nous recourons davantage à l'accueil familial classique, qui est en voie d'effondrement, et aux structures classiques de protection de l'enfance, qui sont en train d'exploser. Pour tenir bon durant cette période et transformer l'essai des chantiers amorcés depuis une dizaine d'années, une mobilisation collective est indispensable.

C'est pourquoi nous appelons à un plan Marshall exceptionnel pour la protection des enfants. Il doit mobiliser et engager à un pas de côté l'État, les collectivités et les associations pour adopter une approche différente, innover et collaborer. Obtenir cette coopération a été complexe, chaque partie rejetant la responsabilité sur l'autre. Du point de vue des départements, l'État est responsable, tandis que l'État estime que les départements disposent des moyens nécessaires pour avancer sur ces sujets. Nous pensons qu'il existe des leviers favorables des deux côtés. En ce qui concerne le soutien aux familles précoces, nous pensons notamment à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Il est important de noter que les moyens alloués à l'aide à domicile précoce des familles, notamment l'intervention des techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF), ont considérablement diminué ces dernières années. Nous constatons une réduction du financement des aides à domicile en prévention du côté de la Cnaf. Nous pensons aussi que la Cnaf pourrait aujourd'hui, sur recommandation des services de protection maternelle et infantile (PMI) et des services sociaux départementaux, proposer très précocement une aide à domicile aux familles en situation de vulnérabilité aiguë, sans passer par des procédures complexes qui retardent souvent la mise en place des mesures nécessaires et sans reste à charge pour les familles. Les collectivités et les départements pourraient financer cette aide.

Nous soutenons depuis longtemps l'idée que la santé est un levier décisif pour l'évolution des pratiques professionnelles. Elle ne se limite pas aux soins somatiques et psychiques, mais est essentielle pour le bien-être global de l'enfant. Les enjeux à relever du côté de l'État sont considérables. Nous attendons beaucoup des conclusions des Assises de la santé de l'enfant, pour lesquelles nous avons dû faire beaucoup de lobbying. Nous avons notamment de grandes attentes concernant la mise en place effective des parcours de santé coordonnés.

Concernant l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, nous avons formulé des propositions équilibrées. Il est impératif que les départements ne se posent plus la question de poursuivre l'accompagnement éducatif au-delà de 18 ans ; c'est une obligation légale depuis des années. Je profite de cette occasion pour rappeler que de nombreuses avancées législatives ont été réaffirmées dans les lois récentes. Par exemple, ne pas séparer les fratries est une obligation légale depuis vingt ans. Évaluer les ressources de l'environnement des enfants est inscrit dans le code civil depuis une dizaine d'années au titre de l'autorité parentale. La possibilité de conclure des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) était déjà prévue dans une loi précédente. Nous devons nous assurer que ces principes légaux sont effectivement appliqués et respectés pour garantir le bien-être et la protection des enfants et des jeunes.

Il est bénéfique de remettre en lumière ces sujets et de préciser les dispositions en vigueur. Cependant, il est essentiel de se poser la question du « comment », et non seulement celle de l'intention. Par exemple, le rapport conjoint du COJ et du CNPE démontre l'intérêt d'un effort conjoint de l'État et des départements pour accompagner les jeunes majeurs. Ces derniers, lorsqu'ils sont sous la protection de l'ASE, devraient bénéficier d'une allocation minimale garantie par l'État. Les départements doivent quant à eux assumer la responsabilité de poursuivre cet accompagnement. Ces propositions ont suscité de l'intérêt mais elles n'ont pas encore été concrètement mises en œuvre. Nous avons veillé à ce que l'État et les départements s'engagent dans ce domaine. Bien que ces sujets n'aient pas encore trouvé de traduction immédiate, ils ont permis l'ouverture de plusieurs chantiers.

Pour répondre précisément à la question du sort de nos propositions, nous avons essayé de les rendre concrètes, réalisables et équilibrées, sans renoncer à notre ambition. Concernant les mesures immédiates visant à garantir la continuité du service sur les territoires, nous n'avons pas été entendus, sauf de manière très marginale. Par exemple, sur un territoire, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a pu apporter un soutien ponctuel à l'ASE pour certaines mesures, ou mener des investigations. Cependant, globalement, les mesures immédiates du plan Marshall n'ont pas été mises en œuvre.

Sur les chantiers structurels, nos propositions ont été reprises comme thématiques des chantiers État-départements, initiés par la Première ministre à la fin de l'année 2023. Ils devraient aboutir à des propositions en juin. Nous restons optimistes. Nous nous réjouissons que l'État et les départements dialoguent. Cependant, nous insistons pour que les autres acteurs ne soient pas négligés. Nous avons manifestement obtenu gain de cause à cet égard. Au début de l'été, une séquence de discussion et de restitution des groupes de travail sur les sept chantiers est prévue.

En attendant, nous avons décidé de ne pas rester inactifs. Sur le sujet des ressources humaines, il nous semble que des actions sont à entreprendre en matière d'attractivité des métiers. Cependant, certaines mesures échappent à notre compétence, comme la question des salaires. Le CNPE n'a quasiment aucune marge de manœuvre sur ce sujet. Nous rappelons néanmoins qu'en 1970, un éducateur gagnait deux fois et demie le Smic. Avant le Ségur, il commençait à 1 400 euros, comme fonctionnaire de catégorie A. Actuellement, c'est un peu plus, 1 500 ou 1 600 euros, mais l'écart s'est considérablement creusé en peu de temps. La question salariale concerne les pouvoirs publics, mais aussi les partenaires sociaux. Les négociations conventionnelles stagnent depuis des années. Si nous mettons de côté cette question fondamentale, mais hors de notre portée, nous pensons pouvoir agir avec les acteurs au sein du Conseil pour diversifier les recrutements, notamment en collaborant avec le réseau des écoles de travail social.

Nous avons donc proposé de recruter des travailleurs sociaux autrement que par Parcoursup, en intégrant des étudiants en licence de sciences humaines dès la deuxième année. L'objectif est de leur offrir une formation d'une année, validant leur niveau licence, directement liée aux besoins fondamentaux d'accompagnement des enfants. Cette initiative est particulièrement intéressante car elle est novatrice. Il nous faut maintenant obtenir l'agrément de l'État. En réalité, nous établissons un continuum de formation entre les employeurs, les universités et les écoles de travail social. Ce continuum inclut le pré-recrutement en salariant les élèves en formation, l'accompagnement à la prise de fonction et la formation continue. Ce projet a immédiatement suscité un grand engouement, démontrant que l'ouverture de nouvelles perspectives de réflexion et de travail suscite un fort enthousiasme et une grande motivation chez les participants. Nous allons insister pour que cette expérimentation soit validée par la DGCS. Nous plaçons également beaucoup d'espoir dans l'apprentissage et les pré-recrutements. Nous travaillons intensivement sur ces sujets avec les employeurs et les écoles de travail social.

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