Avant de vous présenter la stratégie du Gouvernement en matière de sobriété, d'usage et de réduction des risques des produits phytosanitaires, je rappelle brièvement les autres thématiques de mon portefeuille relatif à la transition énergétique et écologique de notre modèle économique : biomasse, photovoltaïque, méthanisation, sobriété des autres intrants agricoles, tels que l'eau et les engrais, industrie agroalimentaire et bonne mise en œuvre de la loi Egalim pour ce qui est des négociations commerciales et de la restauration collective, et enfin enjeux liés à la recherche, au développement et à l'innovation dans le cadre de la mise en œuvre du plan France 2030. Je répondrai à toute question que vous pourriez également avoir sur ces sujets.
La stratégie du Gouvernement pour réduire les risques et les usages des produits phytosanitaires porte un nom : Écophyto 2030. Je commencerai par rappeler le contexte dans lequel s'inscrit cette politique publique.
Le dérèglement climatique et l'effondrement de la biodiversité constituent une cause majeure de la crise agricole que traversent la France comme d'autres pays en Europe et dans le monde, tels que le Canada, l'Inde ou le Maroc – autant de pays aux écosystèmes et aux agricultures différents, mais qui connaissent tous une vive inquiétude. Nos agriculteurs sont les premiers témoins et les premières victimes du dérèglement climatique, qui pèse sur leurs rendements et donc sur leurs revenus. Dans ce contexte d'aléas accrus, il est tentant d'utiliser davantage de produits phytosanitaires puissants pour protéger nos cultures des nouveaux ravageurs et des maladies qui arrivent dans nos climats habituellement tempérés. Cependant, cette solution n'est pas viable à long terme, car l'usage de certains produits phytosanitaires a des conséquences sur notre environnement et notre santé, en premier lieu celle des agriculteurs. À moyen terme, il conduit également à une réduction de la production et des rendements, puisqu'il affecte la biodiversité et les pollinisateurs, en affaiblissant les sols. Je précise que notre vision de l'impact des produits utilisés en 2024 n'est pas exhaustive, car la science avance progressivement sur ces sujets.
La stratégie Écophyto 2030 du Gouvernement repose sur trois éléments clés : une ambition environnementale intacte, un financement inédit de 1 milliard d'euros et un changement de méthode.
L'objectif, tout d'abord, est ambitieux : réduire les usages et les risques des produits phytosanitaires de 50 %. Sur ce point, nous ne dévions pas de l'ambition de nos prédécesseurs.
Pour la première fois, en revanche, nous allons allouer des moyens financiers, scientifiques et humains considérables à la recherche et au développement, ainsi qu'à l'accompagnement des agriculteurs. Un montant de près de 1 milliard d'euros va ainsi être consacré à la recherche de solutions alternatives, soit 250 millions par an sur trois ans au titre de la transition agroécologique, et 300 millions au titre de France 2030. Ces montants sont inédits et sans équivalent en Europe.
Par ailleurs, nous faisons évoluer la méthode sur deux points. Tout d'abord, nous allons rassembler l'ensemble des acteurs pour trouver des solutions. C'est dans cet esprit que j'ai lancé le comité des solutions le 15 mars dernier. Celui-ci réunit la recherche, les instituts techniques, les autorités de régulation, les organisations professionnelles et les filières. Il a pour mission d'objectiver et d'apporter des solutions aux difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs en matière de protection des cultures, dès la campagne 2024. Cette initiative repose sur l'examen de toutes les cultures – ail, oignon, cerise, noisette, etc. – d'ici début juillet.
Le comité des solutions identifie également les distorsions de concurrence liées à l'utilisation en France de produits phytosanitaires différents des autres États membres, et sélectionne parmi les produits utilisés par nos voisins ceux qui présentent un profil favorable en matière d'efficacité et de risque et que nous aurions intérêt à rendre accessibles en France, par reconnaissance mutuelle ou par extension d'usage.
La même méthode est mise en œuvre avec le Parsada (plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures). Ce dispositif, doté de 146 millions d'euros par an pendant trois ans, vise à anticiper avec les agriculteurs les risques d'impasse à venir et à développer des solutions. Quatorze thématiques font d'ores et déjà l'objet de dépôts de projets portés par nos organismes de recherche, nos centres techniques et nos filières.
Enfin, travailler ensemble signifie également élargir nos connaissances sur l'impact des produits phytosanitaires sur la qualité de l'eau et de l'air et sur les insectes pollinisateurs, et mieux étudier les « effets cocktails ». Nous consacrons des moyens inédits à tous ces sujets, afin que la boussole soit la science, et non l'émotion ou l'indignation.
Le deuxième changement de méthode majeur consiste à agir en Européen. Cela implique d'utiliser le seul indicateur utilisé par les vingt-six autres États membres de l'Union, à savoir l'indicateur de risque harmonisé HRI 1, et de confier une mission à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), afin qu'il réfléchisse avec ses homologues européens aux moyens d'améliorer cet indicateur.
Agir en Européen, c'est arrêter de prendre des décisions nationales qui ne correspondent pas au rythme européen, mais aussi encourager l'Europe à prendre les bonnes décisions. Agir en Européen, c'est prôner un agenda ambitieux d'accélération des homologations des solutions les plus prometteuses, telles que les nouvelles techniques génomiques, le biocontrôle et la biostimulation. C'est vouloir une plus grande homogénéisation de la réglementation et l'approbation directe par l'Efsa (Autorité européenne de sécurité des aliments) des autorisations de mise sur le marché (AMM). C'est faire des solutions alternatives aux produits phytosanitaires un axe d'investissement prioritaire pour la Commission européenne, comme nous l'avons fait avec la batterie électrique ou l'hydrogène. C'est, enfin, exiger pour les produits importés des clauses miroirs et des clauses de sauvegarde cohérentes avec les contraintes sanitaires et environnementales que nous imposons à nos agriculteurs.
La publication de la stratégie Écophyto 2030 marque ainsi un tournant dans notre façon d'aborder la transition vers une agriculture plus sobre en intrants. Nous avons toutefois encore du travail devant nous.
D'abord, et pour répondre à la volonté exprimée par le Président de la République et le Premier ministre, je vous confirme que nous souhaitons qu'un texte législatif vienne rapidement concrétiser nos engagements autour de la séparation entre la vente et le conseil stratégique. Dans la pratique, la vente-conseil présente des limites, car elle ne correspond pas à la réalité des relations entre les agriculteurs et ceux qui les accompagnent au quotidien. Ce fonctionnement n'est pas satisfaisant, car il place les agriculteurs dans une position de risque juridique et nous prive d'un suivi qui nous permettrait de mieux atteindre nos objectifs.
J'ai donc lancé le 18 avril dernier, en lien avec les acteurs du conseil et de la vente ainsi qu'avec les représentants agricoles, une mission visant à proposer un nouveau conseil et à adapter la séparation de la vente et du conseil. Nous proposerons également un nouveau conseil stratégique, facultatif et simple d'accès pour les agriculteurs. Il sera fondé sur une approche plus globale de la transition agroécologique et de la sobriété des intrants, incluant notamment les sujets de décarbonation, de fertilisation, d'usage de l'eau ou d'adaptation au dérèglement climatique.
Ce texte s'appuiera sur les différents travaux parlementaires, notamment le groupe de travail des députés Travert et Potier sur le bilan de la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques – comme nous l'avons déjà fait dans le cadre de la stratégie Écophyto 2030 en reprenant l'essentiel des recommandations de la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires menée par les députés Potier et Descrozaille, que je remercie pour leur investissement et leur expertise sur ces sujets.
Pour mémoire, sur les vingt-six recommandations proposées, six n'ont pas été reprises, principalement parce qu'elles sont suivies en dehors de la stratégie. Il s'agit notamment du registre électronique centralisé, de la loi foncière, de l'adaptation du dispositif HVE (Haute Valeur environnementale), de l'expérimentation phytiatre et de l'anticipation de la révision du plan stratégique national. Deux recommandations sont en cours d'expertise, concernant la possibilité d'utiliser les marchés publics comme levier de la transition agroécologique et la réforme du conseil stratégique. Enfin, dix-huit recommandations ont été intégrées, totalement ou partiellement. C'est le cas des mesures miroirs à défendre au niveau européen. Cette audition est aussi pour moi l'occasion d'écouter les priorités de la représentation nationale sur ces sujets phytosanitaires dans le cadre de la préparation du texte.
Parmi les autres échéances à venir, je signale également la tenue, d'ici l'été, d'un comité d'orientation stratégique Écophyto et le lancement, avec mes collègues chargés de l'environnement et de la santé, d'un travail sur la protection des captages d'eau potable, auquel seront associées les collectivités locales et les autres parties prenantes. C'est un enjeu qui dépasse la stratégie Écophyto 2030, les sources de pollution étant multiples et parfois associées à des politiques du passé. Notre objectif est d'assurer une consommation d'eau potable de qualité dans la durée. Pour cela, il nous faut travailler ensemble à l'anticipation des risques sur les captages autorisés et construire une politique pragmatique de protection et de dépollution.
La nouvelle stratégie Écophyto 2030 fait ainsi le pari de l'intelligence collective et de la mobilisation. Elle permet à notre pays de produire l'alimentation de sa population, tout en protégeant la santé de ses citoyens et l'environnement. Elle positionne la France en leader en matière de transition écologique. C'est en unissant nos forces, en investissant dans la recherche et l'innovation, ainsi qu'en accompagnant nos agriculteurs vers des itinéraires techniques plus respectueux, et en leur faisant confiance que nous pourrons transformer notre système agricole, au bénéfice de tous.