Intervention de le professeur Rémi-Henri Salomon

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 17h15
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public

le professeur Rémi-Henri Salomon, président de la commission médicale d'établissement centrale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, président de la conférence des présidents de commission médicale d'établissement de centre hospitalier universitaire (CHU) :

Je suis quelque peu embarrassé de vous le dire, car je ne dispose pas d'une connaissance approfondie du processus. Je vous invite donc à interroger Emmanuel Touzé, le président de l'Office national de la démographie des professions de santé (ONDPS), qui connaît bien le sujet. Par exemple, concernant les besoins en professionnels de santé, l'évolution de la population française, qui vieillit, pose problème. Nous recevons de plus en plus de personnes âgées souffrant de polypathologies. Or dans nos CHU, nous avons formé essentiellement des spécialistes d'organes. Cette organisation de la formation, valable il y a cinquante ans et encore pertinente il y a trente ans, l'est beaucoup moins aujourd'hui.

Nous avons besoin de médecins plus polyvalents. La médecine interne, par essence, traite de polypathologies, tout comme la médecine générale. Au CHU, nous avons longtemps établi une sorte d'échelle de valeur entre les spécialités d'organes et la médecine générale. Nous passions le concours de l'internat pour suivre ensuite une spécialité d'organes. Ceux qui échouaient se tournaient alors vers la médecine générale. Aujourd'hui, les choses évoluent. Les étudiants, même les plus brillants, peuvent choisir la médecine générale, une discipline tout à fait passionnante. Cependant, ces deux mondes, celui de la médecine générale et celui des spécialités d'organes, se tournent encore un peu le dos.

En France, dans le domaine de la santé, nous ne savons pas bien créer des liens entre les équipes, entre l'hôpital et la ville, entre la ville et le médico-social. En tant que pédiatre, je constate également un manque de coordination entre la médecine scolaire, la protection maternelle et infantile (PMI) et les autres structures. Pourtant, les patients, notamment les enfants, passent de l'un à l'autre.

Il est donc nécessaire de trouver une manière de favoriser les liens entre les différentes équipes de santé. Il ne s'agit pas seulement de le dire, mais de réfléchir également à un cadre statutaire qui permettrait de le faire, ainsi qu'à des modes de rémunération adaptés. En procédant ainsi, nous répondrions également à l'aspiration de nombreuses jeunes générations qui, aujourd'hui, souhaitent diversifier leurs activités. Cette demande ne concerne pas uniquement le domaine de la santé ; de manière générale, les jeunes ne se voient pas effectuer la même tâche au même endroit, tout le temps.

Je défends l'idée d'un service public de la santé qui ne se limiterait pas à l'hôpital, mais inclurait également la ville. Cela permettrait de créer des liens entre les différentes équipes. Je sais, par mes discussions avec les responsables de la médecine générale, que de nombreux médecins généralistes aspirent à travailler en équipes pluriprofessionnelles et sont intéressés par le mode salarié. Souvent, les médecins généralistes en ville se plaignent du poids de la bureaucratie et des procédures administratives. Être salarié dans une structure où ils auraient des horaires fixes et seraient déchargés des tâches administratives représente une perspective qui les intéresse.

Je propose donc un cadre statutaire qui serait une sorte de fonction publique de la santé, englobant à la fois la ville et l'hôpital. Lors des assises de la pédiatrie, nous avons proposé de revaloriser la médecine scolaire en augmentant le nombre de professionnels et le temps médical et paramédical. Une des propositions visait à permettre à des médecins libéraux d'intervenir dans les écoles. Il est à ce titre essentiel de favoriser l'intégration des médecins scolaires dans les équipes pédagogiques, pour mener une prévention efficace en matière de santé mentale des jeunes. Les enseignants rencontrent également des difficultés lorsqu'ils doivent gérer dans leur classe quatre ou cinq adolescents ayant un projet d'accueil individualisé (PAI) en raison de phobies scolaires, entre autres. Il s'agit donc de conduire un véritable travail d'équipe et de collaboration.

Par ailleurs, dans les services de pédiatrie, nous constatons un nombre considérable de jeunes hospitalisés après une tentative de suicide. Il n'est pas rare qu'un tiers, voire la moitié des lits d'un service de pédiatrie générale soient occupés par ces jeunes.

Le professeur Angèle Consoli, pédopsychiatre, m'a confié que ces jeunes ne vont pas bien depuis des mois avant de passer à l'acte. Or, même lorsque le problème est identifié, les délais pour obtenir un rendez-vous dans les centres médico-psychopédagogiques (CMPP) à Paris peuvent atteindre un an, voire plus. Il est donc nécessaire de reconstruire ce système. Je tiens à souligner que j'ai été le premier à tendre la main à la médecine générale pour aborder ces questions. Il y a deux ans, nous avons d'ailleurs eu des échanges très fructueux avec les représentants de la médecine générale et hospitalière.

Cependant, certains sujets ont émergé entre-temps et ont malheureusement perturbé ces discussions, notamment en raison de la quatrième année de l'internat de médecine générale. Les internes ont exprimé leur refus d'être envoyés dans les déserts médicaux simplement pour combler les manques. Ils ont raison, car cette approche est inefficace, à moins d'être accompagnée d'un encadrement par un médecin senior. Les internes ont ainsi demandé un semestre libre dans leur quatrième année, ce qui a conduit à une révision de la maquette de l'internat en médecine générale. Nous avons alors réduit la formation en pédiatrie et en santé de la femme de six mois à trois mois. Cette décision a suscité de nombreuses réactions, notamment de la part de nombreux chefs de service de pédiatrie, qui n'ont pas été consultés sur ce point. Les pédiatres hospitaliers affirment que trois mois ne suffisent pas pour réaliser un stage efficace, avis d'ailleurs partagé par les internes ayant effectué ces stages.

La formation des futurs médecins généralistes, notamment en pédiatrie, est actuellement compromise. De nombreux services de pédiatrie peinent à maintenir leur ligne de garde, essentielle pour la permanence des soins. Les professionnels s'épuisent, particulièrement lors d'épidémies comme celle survenue il y a un an et demi. À cette époque, quelques pédiatres et moi-même avions alerté le Président de la République sur la situation critique de la pédiatrie hospitalière. De fait, je suis extrêmement préoccupé par l'impact potentiel de cette réforme. Si les stages sont réduits à trois mois, cela affaiblira encore davantage les lignes de garde dans ces services, avec des conséquences graves. Les maternités rencontrent d'ailleurs des difficultés similaires pour maintenir des obstétriciens et des sages-femmes dans les salles de naissance.

L'équilibre entre vie professionnelle et vie privée a évolué, particulièrement ces quatre dernières années. Nous ne savons pas comment attirer et retenir des professionnels dans les services de pédiatrie et de maternité, pour assurer un fonctionnement continu vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. D'autres disciplines, comme la psychiatrie, connaissent également une forte tension.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion