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Intervention de Dr. Marie-Paule Martin-Blachais

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 19h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Dr. Marie-Paule Martin-Blachais, directrice scientifique de l'École de protection de l'enfance, ancienne directrice du Groupement d'intérêt public « Enfance en danger » (Giped) et rapporteure de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance :

Concernant le corps médical, tout d'abord, vous avez mentionné que 37 % des médecins disent avoir suspecté des cas de maltraitance sans les avoir signalés. En travaillant avec les administrations centrales et l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned), nous avons constaté que seulement 3 % des informations préoccupantes proviennent du corps médical. Ce pourcentage est extrêmement faible, d'autant plus que le corps médical est souvent en première ligne pour connaître la situation des enfants, notamment à travers les consultations de prévention et les vaccinations.

Pourquoi cette réticence du corps médical ? Vous avez évoqué plusieurs raisons avancées par les professionnels de santé. Je tiens à souligner que le conseil de l'ordre a réalisé d'importants progrès sur ce sujet. De nombreuses préconisations ont été émises concernant les modalités d'intervention et la formation des médecins. Aujourd'hui, la Haute Autorité de santé (HAS) formule des recommandations de bonne pratique à destination des médecins pour identifier un enfant suspecté de maltraitance, savoir qui contacter, comment procéder, sous quelles formes et quels risques cela comporte. Il me semble que, sur le plan de l'implication du corps médical, des ressources existent aujourd'hui vers lesquelles les médecins peuvent se tourner pour obtenir des informations. Cependant, au-delà des documents ressources, des préconisations, des recommandations et des conseils pratiques, rien ne remplace l'établissement d'une relation de confiance entre les professionnels de santé et les dispositifs vers lesquels ils peuvent se tourner. Normalement, ils peuvent se référer aux autorités judiciaires ou administratives, ainsi qu'à un médecin référent pour obtenir des conseils.

J'ai eu l'occasion de travailler dans des territoires où le médecin-chef de la PMI était l'interlocuteur privilégié du secteur libéral. Le conseil départemental avait informé les professionnels de santé concernant la problématique des enfants en danger, l'organisation du système de protection de l'enfance, les interlocuteurs disponibles et les procédures à suivre. Deux accès avaient été mis en place pour le corps médical : l'un pour demander des informations et des conseils sur des situations préoccupantes, l'autre pour élaborer des procédures et des circuits permettant aux médecins de disposer des informations nécessaires sur les ressources de proximité. Il est essentiel d'informer les praticiens sur l'offre de services du secteur public, en présentant la PMI non pas comme un service en rivalité avec la médecine libérale, mais comme une offre complémentaire. Cela implique de permettre aux praticiens de nouer des contacts avec les professionnels intervenant dans leur territoire d'implantation. Ainsi, en cas de situation problématique, les liens de reconnaissance réciproque déjà établis facilitent la communication et l'échange. Pendant un certain temps, il y a eu une certaine réticence du secteur de la santé libérale à collaborer, contrairement au secteur public hospitalier où les articulations sont plus évidentes, notamment parce que les professionnels sont parfois amenés à saisir directement le parquet en cas d'extrême urgence. Dans le secteur libéral, où l'activité est souvent individuelle, cette collaboration ne va pas de soi. Aborder la question des enfants en danger nécessite par définition un travail d'équipe pluridisciplinaire.

Il faut présenter, proposer, incarner et accompagner les initiatives, tout en instaurant un climat de confiance entre les différents professionnels. Une fois cette confiance établie, le corps médical, grâce à sa position d'observation privilégiée, peut repérer précocement les situations problématiques chez les enfants. En intervenant rapidement, il est possible de mettre en place des solutions d'accompagnement plus légères, évitant ainsi une dégradation de la situation et une intervention en période de crise, défavorable pour l'enfant.

En ce qui concerne le cadre de la politique de protection de l'enfance, je constate que nous disposons en France d'une véritable doctrine législative et réglementaire qui influence désormais les pratiques professionnelles. Cependant, il n'existe pas de cadre uniforme sur la question des normes en protection de l'enfance. Par exemple, en visitant des Mecs dans différentes régions de France, on observe des disparités en termes de ratios d'encadrement et de qualifications professionnelles, malgré des missions et vocations identiques. Cette situation pose un problème d'égalité de traitement pour nos concitoyens, suggérant que la qualité des services peut varier selon la localisation géographique. Prenons un exemple concret de Mecs avec des groupes de dix enfants, qui dispose de six éducateurs pour assurer leur prise en charge 24 heures sur 24, 365 jours par an. Or, en se référant à la convention collective de 1966 et aux règles du droit du travail, on constate que six équivalents temps plein (ETP) ne suffisent pas. Il est donc nécessaire de recourir à des contrats à durée déterminée (CDD) ou à de l'intérim, avec tous les risques que cela comporte. Ainsi, bien que nous ayons progressivement établi des usages pour déterminer ce qui est nécessaire à l'accueil des enfants, il demeure des incohérences et des besoins non satisfaits, nécessitant des ajustements pour garantir une prise en charge homogène et de qualité sur l'ensemble du territoire. L'intérim est extrêmement coûteux et, de surcroît, il implique l'embauche de personnes non qualifiées et non diplômées, que les enfants ne connaissent pas. Cela pose un problème de stabilité et de continuité, éléments essentiels pour les enfants en lien avec les adultes qui s'occupent d'eux. Je doute qu'il y ait un réel bénéfice à terme. Il est crucial de considérer les coûts au regard de l'application du droit du travail.

Aujourd'hui, un sujet qui me préoccupe particulièrement est celui des nuits. Il y a quelques années, les éducateurs assuraient des nuits couchées. Actuellement, en raison de la réglementation européenne, les nuits se font debout. Par conséquent, ce ne sont plus des éducateurs qui veillent la nuit, mais des veilleurs de nuit. Ces veilleurs de nuit jouent un rôle majeur pour les enfants accueillis en structure collective. Les enfants, souvent angoissés et stressés, souffrent de troubles du sommeil et de difficultés nocturnes. Les professionnels jouent aujourd'hui un rôle éducatif et de réassurance essentiel auprès des enfants. Il est impératif qu'ils soient présents en nombre suffisant la nuit.

En réponse à la question évoquée précédemment concernant la nécessité d'être plusieurs pour encadrer un groupe, il est évident qu'en cas d'accident nécessitant le transport d'un enfant à l'hôpital, le groupe ne peut être laissé sans supervision. De même, si un adulte fait un malaise, la présence d'un second adulte est indispensable pour garantir la sécurité des enfants. La question de la sécurité des enfants est donc primordiale, englobant à la fois la sécurité physique et matérielle, ainsi que la sécurité psychique. Les enfants ont besoin d'un environnement où un adulte de proximité est disponible pour les soutenir en cas de difficulté.

Vous avez également soulevé la problématique de la difficulté et de la faible rémunération du travail social. Nous faisons face à une véritable crise de recrutement, en partie due à une crise des vocations. N'effaçons pas cette réalité. Le statut et la rémunération sont des éléments importants. Vous avez mentionné la qualité de vie au travail. Il est indéniable que dans une structure fonctionnant sous tension en raison d'un nombre insuffisant de professionnels, un cercle vicieux s'installe. Lorsque les effectifs sont insuffisants et que certains enfants nécessitent une attention individuelle, la gestion des autres enfants devient problématique. Cela compromet la qualité de vie au travail. Les professionnels présents dans l'institution peuvent alors être exposés au burn-out et se sentir démunis face à la lourdeur de leur mission.

La qualité de vie au travail est essentielle. Elle est intrinsèquement liée à la formation professionnelle. Aujourd'hui, de nombreux professionnels ont besoin de formations de qualité pour affronter diverses situations. Ces formations doivent également favoriser le travail collectif, afin que les travailleurs ne se sentent pas isolés, mais au contraire intégrés dans une cohérence éducative partagée, en étant en accord sur les valeurs, les principes, les pratiques et les procédures pour éviter l'incohérence éducative. Cette dernière peut faire imploser une structure. Parfois, les injonctions paradoxales au sein d'une structure compliquent la situation, notamment lorsque les professionnels adoptent des positions divergentes. Prenons l'exemple de la sanction. Si les enfants perçoivent une sanction comme arbitraire et variable en fonction des personnes présentes, il en naît du désordre. Ce désordre affecte non seulement la structure, mais aussi la capacité à accompagner un collectif d'enfants sur des bases partagées.

D'autres interrogations se font jour sur la construction des projets d'établissement et l'élaboration des procédures. Le métier est complexe ; la confrontation à la souffrance de l'autre a des répercussions sur chacun d'entre nous. Il est indispensable d'accompagner les professionnels en généralisant l'analyse des pratiques au sein des institutions. Cela permet de créer des espaces-temps dédiés à la régulation des mouvements émotionnels. Le chantier est vaste, mais nécessaire. Nous sommes actuellement à un point de crise systémique important.

Je termine par le sujet de l'articulation entre l'État et les départements. Je me suis déjà exprimée concernant la gouvernance nationale. Concernant la gouvernance territoriale, des perspectives intéressantes se dessinent. Nous disposons d'outils tels que l'observatoire départemental de la protection de l'enfance, qui me semble être un dispositif capable de réunir tous les acteurs autour de la table. Cet observatoire permet de partager une connaissance approfondie du territoire, d'établir un diagnostic précis de ses forces, de ses faiblesses et des besoins de la population, afin d'apporter des réponses adéquates. Néanmoins, je pense que le schéma départemental de prévention et de protection de l'enfance, à lui seul, ne suffira pas à résoudre les problématiques territoriales. Il doit s'articuler avec les programmes de santé, les schémas d'organisation sanitaire, sans oublier ceux portant sur le handicap. Tous les acteurs concernés doivent être associés à l'élaboration de ces plans, afin que chacun puisse apporter une réponse pertinente à la complexité de la politique publique de protection de l'enfance.

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