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Intervention de Dr. Marie-Paule Martin-Blachais

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 19h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Dr. Marie-Paule Martin-Blachais, directrice scientifique de l'École de protection de l'enfance, ancienne directrice du Groupement d'intérêt public « Enfance en danger » (Giped) et rapporteure de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance :

Vous m'interrogez sur de nombreux points et je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à toutes vos attentes.

De quelle manière la question des besoins de l'enfant a-t-elle été portée depuis 2017 ? Cette démarche de consensus a été soutenue par une volonté affirmée. Après le rapport, nous étions conscients que pour que cette approche par les besoins imprègne la formation des professionnels et leurs pratiques, il nous fallait être très actifs. Nous avons donc été proactifs auprès des collectivités territoriales et des ESMS. Chaque expert du groupe de consensus a milité pour diffuser l'approche reposant sur les besoins fondamentaux de l'enfant, chacun dans son domaine et autant qu'il le pouvait. Les experts impliqués dans la démarche de consensus étaient très conscients de l'importance de cette approche par les besoins. Ils ont œuvré pour que cela devienne une référence pour tous les acteurs dans leurs domaines respectifs. Le cadre réglementaire a également joué un rôle, avec la publication de plusieurs décrets réaffirmant cette approche par les besoins. Nous avons pu nous appuyer sur ce cadre pour souligner l'importance de s'approprier ce concept.

En ce qui concerne l'appareil de formation, la situation est plus complexe, notamment dans les secteurs sanitaires et du travail social. Dans le secteur sanitaire, certains réseaux nous ont sollicités pour des publications et des interventions afin de sensibiliser les professionnels. Par exemple, le secteur psychiatrique hospitalier nous a sollicités, tout comme l'École nationale de la magistrature, qui inclut désormais un module sur cette démarche dans la formation initiale des magistrats souhaitant devenir juges des enfants. La situation est plus compliquée dans les instituts de formation en travail social, en raison d'une architecture dispersée et de l'attachement aux prérogatives de chacun. Aujourd'hui, je dirais que certains instituts de formation en travail social ont intégré l'approche par les besoins dans leur bloc de compétences, mais ce n'est pas systématisé. Vous avez évoqué la perte d'attractivité des métiers du travail social, que ce soit dans le secteur médico-social ou sanitaire. Les fédérations professionnelles se sont mobilisées en publiant des travaux ou en sollicitant des interventions lors de congrès et de conférences thématiques. Cependant, la formation en travail social présente la difficulté notable d'articuler le contenu des formations des jeunes professionnels avec les exigences de leur mission sur le terrain. Il existe un décalage important, d'autant plus que les formations restent polyvalentes et généralistes. La question de la spécialisation se pose donc. Dans notre rapport, nous avons souligné l'importance de doter les professionnels d'un socle de connaissances couvrant l'enfance et la famille, allant de la Convention internationale des droits de l'enfant aux dynamiques familiales, en passant par la théorie de l'attachement et l'approche par les besoins, ainsi que des aspects plus spécialisés. Nous avons également proposé un socle de compétences pour exercer dans le domaine de la protection de l'enfance, c'est-à-dire pour travailler auprès d'enfants en devenir, souvent exposés à des environnements délétères qui entraînent des difficultés sur le plan de la santé, des troubles de l'attachement, des psychotraumatismes et éventuellement des troubles de la conduite et du comportement.

Il est essentiel que les professionnels soient en mesure de faire face à divers événements et de comprendre les symptômes exprimés par les enfants, afin d'apporter les réponses les plus appropriées et de permettre à l'enfant de retrouver un environnement suffisamment sécurisé. En effet, au-delà des enfants porteurs de handicap, nous avons également des enfants présentant des problèmes de santé psychique pour lesquels il est nécessaire de fournir des réponses adaptées. Aujourd'hui, il convient de consolider le champ de la santé mentale, notamment par une approche globale telle que définie par l'organisation mondiale de la santé (OMS). Cette approche englobe la prise en charge de l'enfant dans toutes ses dimensions, et non pas uniquement sous l'angle de la psychopathologie, c'est-à-dire par le biais de la maladie psychiatrique et de la classification internationale des maladies mentales.

Il nous reste de nombreux chantiers à traiter. Avec le recul, je ne souhaite pas donner l'impression que nous avions une meilleure compréhension des choses dans le passé. Cependant, dans les années 1980 et 1990, la dynamique transversale entre les champs professionnels sanitaire, social et médico-social était centrée sur les situations individuelles et se réalisait également au niveau interinstitutionnel. Aujourd'hui, je constate que la situation s'est considérablement dégradée. La situation de la pédiatrie et de la pédopsychiatrie apparaît très préoccupante. C'est également le cas pour la médecine générale dans certains territoires. Il est devenu difficile d'accéder aux soins dans certaines régions. Vous avez mentionné la tension sur les structures d'hébergement ; je confirme qu'elle est bien réelle, les enfants présents dans ces structures sont en sureffectifs. Je pense que la diversification de l'offre de services et des modes de réponse s'est souvent faite à enveloppe constante, par une transformation des places existantes plutôt que par une création de places ex nihilo. Dans certaines situations, les interventions à domicile et le placement éducatif à domicile sont appropriés. Cependant, nous avons probablement sous-estimé le besoin d'hébergements à temps complet pour certains publics spécifiques. Parallèlement, la fermeture de structures d'hébergement du secteur médico-social et sanitaire a aggravé la situation. Les lits d'hospitalisation à temps complet en service de pédopsychiatrie ont été supprimés, à l'exception de quelques unités pour adolescents. Cette suppression visait à décloisonner et à favoriser l'insertion et l'intégration dans le droit commun. Toutefois, il est probable que nous avons sous-estimé les besoins réels justifiant ces hébergements à temps complet. Dans le domaine médico-social, nous avions des instituts médico-éducatifs (IME) qui disposaient de structures d'hébergement, mais ces dernières ont été fermées.

Il me semble que d'autres politiques publiques ont également modifié leur offre de services, ce qui a eu un impact sur la politique de protection de l'enfance. Nous n'avons peut-être pas bien anticipé ni évalué ces changements, car les politiques publiques sont souvent cloisonnées. Pourtant, les enfants dont nous avons la responsabilité, qu'ils soient en milieu ouvert ou en structure d'hébergement, présentent des besoins significatifs qui justifieraient des prises en charge multiples, coordonnées et synchronisées. Cela impliquerait la contribution de plusieurs acteurs de politiques publiques différentes. À une certaine époque, j'ai fortement soutenu la création d'un internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents avec une triple habilitation, à la fois de l'aide sociale à l'enfance (ASE), de la justice et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), avec un financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et du département ou de la PJJ. Même si cet établissement a rencontré des difficultés et a dû fermer, je persiste à penser que de telles structures devraient avoir leur place dans notre dispositif, en lien avec les agences régionales de santé (ARS).

J'ai tiré des enseignements de la fermeture de notre établissement sur les erreurs à éviter pour garantir le bon fonctionnement de ce type de structure. Il faut des établissements de petite taille, situés à proximité des filières de soins et répondant à un certain nombre de conditions. Aujourd'hui, nous avons besoin de ce genre de dispositif car certains enfants ne peuvent pas quitter les établissements faute de solutions en aval. Chacun considère qu'il n'a pas la compétence pour accompagner ces enfants qui nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire. Il est essentiel de travailler collectivement, en apportant des moyens, du personnel, ou en intervenant en gestion de crise, par exemple avec des équipes mobiles dans les Mecs. Ces interventions peuvent inclure des hospitalisations temporaires en unité pour adolescents afin de stabiliser les situations de crise. Je suis convaincue qu'il est nécessaire d'avoir, dans les Mecs ou les foyers éducatifs, un médecin référent et un infirmier, comme c'est le cas dans les maisons de retraite. La question du suivi de la santé de ces enfants est cruciale. Ils arrivent souvent dans nos établissements sans que nous disposions de toutes les informations sur leur parcours de santé, ce qui constitue une perte de temps et d'efficience. Si nous avions ces informations, nous pourrions immédiatement leur apporter les réponses appropriées.

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