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Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 19h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago, rapporteure de la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance :

L'engagement en faveur de la protection de l'enfance ne doit pas se limiter aux cas médiatisés, aussi tragiques soient-ils. Historiquement, les lois en matière de protection de l'enfance ont souvent été adoptées à la suite de situations extrêmement graves, souvent des décès. Il est regrettable que l'engagement naturel envers cette politique publique ne soit pas plus constant. Nous devrions tous nous mobiliser pour accompagner au mieux les enfants les plus vulnérables, qui présentent parfois des vulnérabilités multiples.

Lorsque vous avez travaillé sur la question du consensus autour des besoins de l'enfant, j'ai eu le plaisir de collaborer avec vous et la ministre Laurence Rossignol sur les dispositifs créés par la loi du 14 mars 2016.

J'ai plusieurs questions à ce sujet. La première concerne votre rapport rendu le 28 février 2017, à la veille d'une élection présidentielle entraînant un changement de gouvernement. Je souhaite savoir quelles ont été les suites données à vos travaux. Comment ont-ils été perçus par les acteurs de la protection de l'enfance et comment se sont-ils traduits avec le changement de gouvernement ? Comment avez-vous réussi à faire en sorte que ces travaux irriguent les pratiques ? La loi du 5 mars 2007 demandait déjà des projets personnalisés pour l'enfant (PPE). Cependant, nous savons qu'aujourd'hui encore, certains départements ne les mettent pas en œuvre, ou très peu. Ancrer des politiques publiques dans les territoires, au plus près des pratiques professionnelles, demeure extrêmement complexe.

La durée de vos travaux a été extrêmement longue, notamment dans un écosystème très large qui justifie l'emploi du terme holistique par nos voisins étrangers. Je tiens à vérifier, dans le cadre de cette commission d'enquête, que les travaux que vous avez menés, qui préconisaient le respect des besoins fondamentaux des enfants, notamment ce méta-besoin de sécurité, ont bien été suivis d'effets. Vous aviez structuré vos recommandations en sept chapitres, dont un consacré à la formation. Dix ans plus tard, nous en sommes toujours à discuter de ces sujets. Je souhaite comprendre quels processus ont permis d'intégrer ces travaux dans les politiques ministérielles entre 2014 et 2017, et comment cela a évolué par la suite, surtout en l'absence initiale d'un ministre de l'enfance. Nous avons souvent rencontré la ministre Agnès Buzyn, mais je voudrais savoir comment ces travaux ont été repris et intégrés. Nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas de rupture dans une politique publique aussi sensible. Si elle est véritablement portée au niveau national, elle doit l'être de manière cohérente en tenant compte de tout son écosystème, avec la compréhension que nous devons avancer ensemble sur ces sujets. Une rupture de politique publique nous fait prendre du retard. Or, je rappelle souvent à l'Assemblée nationale que le temps de l'enfant n'est pas celui de l'adulte, et encore moins celui des administrations ou des politiques.

Je suis consternée par la situation actuelle. Nous faisons face à deux crises majeures. Il y a tout d'abord une pénurie de personnel. La question de la formation et de la revalorisation des salaires est primordiale, l'attractivité des métiers du médico-social a considérablement diminué. Nous observons des phénomènes que je n'aurais jamais imaginés, comme l'ouverture de maisons d'enfants à caractère social (Mecs) en quinze jours, avec du personnel non formé, en réponse à des appels à projets également de quinze jours. Cela relève davantage de l'intérim, une forme de privatisation qui s'immisce dans le secteur de la protection de l'enfance. Nous nous éloignons des besoins fondamentaux de l'enfant qui avaient permis l'élaboration d'une doctrine partagée par tous, ce qui n'était pas une mince affaire à l'époque. Cette doctrine guide les travaux des colloques, mais elle doit également orienter les pratiques des professionnels.

Je suis également consternée par le manque de données chiffrées et de perspectives. Les départements se retrouvent confrontés à des situations extrêmement difficiles. Par exemple, certains enfants sont restés en maternité bien plus longtemps que prévu, faute de places en pouponnières ou dans d'autres structures d'accueil. En principe, cette durée ne devrait pas excéder trois mois, sauf erreur de ma part. Nous assistons à la réapparition du syndrome de l'hospitalisme, un phénomène que je n'avais pas observé depuis au moins dix ans. Nous sommes confrontés à des situations de sureffectif dans les pouponnières, entraînant des conditions d'accueil et de travail intolérables. Personne ne semble réagir, alors que nous devrions tous être révoltés par cette situation, compte tenu des besoins fondamentaux et des méta-besoins des enfants. La situation me paraît urgente.

Je souhaite que le décret de 1974 régissant les pouponnières soit révisé. Il est inadmissible que ce texte, datant d'une époque où l'approche était principalement sanitaire, soit toujours en vigueur. Un adulte pour trente enfants la nuit, c'est impossible, surtout quand on connaît la vulnérabilité de ces enfants. De même, un adulte pour six enfants durant la journée, avec le sureffectif actuel, peut mener en réalité à avoir un adulte pour neuf enfants, ce qui est dramatique, particulièrement pour des bébés. Les conséquences sur leurs besoins fondamentaux sont considérables. La professeure Céline Greco, qui est intervenue juste avant vous, a souligné les répercussions sur leur développement. Nous, parlementaires, avons la responsabilité de faire évoluer cette situation qui n'est plus acceptable.

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