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Intervention de Dr. Marie-Paule Martin-Blachais

Réunion du mardi 21 mai 2024 à 19h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Dr. Marie-Paule Martin-Blachais, directrice scientifique de l'École de protection de l'enfance, ancienne directrice du Groupement d'intérêt public « Enfance en danger » (Giped) et rapporteure de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance :

Je vous remercie de m'avoir conviée à cette audition. J'exerce mon activité professionnelle dans le domaine des publics vulnérables et de la protection de l'enfance depuis 1977, d'abord dans le secteur public, à l'échelon départemental et national. Aujourd'hui, je préside une association gestionnaire d'établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), ce qui me permet de rester en contact avec la réalité de cette politique publique sur le terrain.

En 2017, la ministre Laurence Rossignol m'a demandé de conduire une démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant. Cette demande s'inscrivait dans un contexte d'évolution du cadre législatif et réglementaire de cette politique publique, après les lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016. La notion de besoins fondamentaux de l'enfant, mentionnée dans ces lois, suscitait de nombreuses interrogations. Nous avons donc mené cette démarche de consensus pour clarifier cette notion. Je tiens à souligner l'importance de l'article premier de la loi du 14 mars 2016, qui a véritablement posé le cadre d'une doctrine de la politique publique de protection de l'enfance, en cohérence avec les principes de la Convention internationale des droits de l'enfant.

La finalité de cette politique publique, telle que définie par la loi du 14 mars 2016, est de rappeler que l'objectif central doit être l'enfant, en mettant l'accent sur ses besoins, le respect de ses droits et la garantie de son développement physique, affectif, intellectuel et social. Cette approche consolide le fait que les politiques publiques doivent être orientées par les besoins fondamentaux de l'enfant, qui sont universels. De quoi a besoin un enfant pour se construire, grandir et devenir une personne épanouie, capable de réaliser pleinement ses potentialités et de devenir un membre actif de la société ?

Depuis 1958, la politique publique de protection de l'enfance a oscillé entre protection administrative et protection judiciaire. Il est apparu nécessaire de clarifier la grille de lecture permettant d'appréhender la situation d'un enfant dans son environnement. Cela autorise la puissance publique, conformément à la Convention internationale, à intervenir dans l'éducation de l'enfant. Cette responsabilité éducative relève à la fois du droit privé, via les représentants légaux de l'enfant qui exercent l'autorité parentale prévue par le code civil, et de la puissance publique, qui doit assurer la protection et le bien-être des enfants, comme stipulé par la Convention internationale des droits de l'enfant.

La notion d'intérêt supérieur de l'enfant, inscrite à l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, constitue notre boussole. Toute décision prise pour un enfant, que ce soit par ses parents, les autorités administratives, judiciaires ou autres, doit viser à garantir son intérêt. Entre l'intérêt supérieur de l'enfant et ses besoins fondamentaux, nous disposons aujourd'hui d'une doctrine claire qui nous guide. L'enfant est notre priorité. Nous devons nous demander ce qu'il exprime sur son environnement. Souffre-t-il de sa situation ? A-t-il besoin d'aide ? Cet environnement lui permet-il de se construire et de se développer ? Si nécessaire, nous devons apporter une aide et un accompagnement adaptés.

Cette politique publique, fondée sur ce nouveau paradigme et cette nouvelle doctrine, a des répercussions sur l'architecture du système de protection de l'enfance et sur les pratiques professionnelles. La formation des professionnels constitue un enjeu central, mais ce n'est pas le seul. Nous devons également aborder les problématiques médico-sociales, de santé et de scolarité des enfants accueillis en protection de l'enfance. En effet, 30 % des enfants pris en charge sont porteurs de handicap et nécessitent une double prise en charge, c'est-à-dire à la fois un plan de compensation du handicap et un projet pour l'enfant. Ces plans doivent être cohérents afin de placer l'enfant au centre de nos préoccupations, en tenant compte de son intérêt, quels que soient les professions, les compétences et les champs d'appartenance des politiques publiques.

La question des politiques publiques, que j'évoque au pluriel, est essentielle, car la politique de protection de l'enfance ne peut s'inscrire dans une démarche isolée. L'enfant doit être appréhendé dans sa globalité, ce que nos collègues étrangers appellent des approches holistiques. Un enfant est un tout : il doit être protégé, mais il a également besoin d'aller à l'école, de recevoir des soins, de participer à des loisirs, de s'enrichir culturellement, de bénéficier d'une formation professionnelle et, en grandissant, d'accéder à ses droits sociaux et à une insertion sociale et professionnelle.

La particularité de cette politique publique réside dans sa nécessaire transversalité avec les autres politiques publiques. Comment créer cette transversalité à l'échelle nationale et la décliner localement ? Nous disposons de plusieurs instruments. Au niveau national, le comité interministériel de protection de l'enfance favorise cette transversalité. Le Gip « France enfance protégée » constitue également un outil important, rassemblant l'ensemble des acteurs concernés par la protection de l'enfance. Les groupes de travail mis en œuvre permettent des rencontres entre les deux autorités responsables de cette politique, l'État et les départements, facilitant ainsi l'échange, l'élaboration et la co-construction des politiques. À l'échelle locale, nous trouvons divers instruments. Les observatoires départementaux, par exemple, devraient être des lieux de partage, de diagnostic territorial, de mise en commun et d'évaluation des besoins du territoire et de la population. Ils permettent d'assurer un suivi des réponses apportées sur le terrain et des différents dispositifs en place.

La loi du 7 février 2022, en créant les conseils départementaux de protection de l'enfance (CDPE), pourrait faciliter la transversalité des politiques publiques. En effet, ces conseils permettent de réunir autour de la table les services déconcentrés de l'État. Durant la période difficile du covid, certains acteurs se sont parfois sentis isolés, notamment lorsque les écoles ont fermé, et lorsque les services de pédopsychiatrie et le secteur médico-social ont suspendu leurs activités. Les acteurs de la protection de l'enfance ont particulièrement ressenti cette solitude. Il semble donc pertinent d'évaluer le fonctionnement et les apports des CDPE. Ces instances pourraient effectivement renforcer la transversalité des politiques publiques. De plus, plusieurs protocoles ont été prévus, notamment des protocoles de prévention avec les caisses d'allocations familiales (Caf) et les acteurs de la parentalité, ainsi que des protocoles concernant le passage à l'âge adulte et l'insertion des jeunes adultes, impliquant les présidents de conseils régionaux. Il est important d'examiner la mise en place de ces protocoles et leurs effets. Ils visent à garantir que les parcours des jeunes sortant de la protection de l'enfance soient anticipés et planifiés, afin qu'ils accèdent à leurs droits sociaux et bénéficient d'une insertion réussie.

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