Intervention de Jean-Benoît Dujol

Réunion du mardi 14 mai 2024 à 18h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale :

Depuis le début de l'année, nous avons accéléré la publication des décrets. Nous avons notamment publié le décret sur le parrainage et celui sur le mentorat en février. Le décret relatif au projet d'établissement ou de service des établissements et services sociaux et médico-sociaux, prévu par la loi Taquet, a également été promulgué début 2024, ainsi que le fameux décret dit « hôtel ». Je tiens à préciser que ce dernier n'est pas un décret dédié aux hôtels. L'interdiction de l'hébergement en hôtel, décidée par le législateur en 2022, est d'application directe. Le décret vise à clarifier les types d'accueil, autres que les hôtels ou les services et établissements autorisés par le département, qui peuvent, dans des conditions très limitées et pour une durée réduite, accueillir des enfants. Il permet un accueil pour une durée n'excédant pas deux mois et ne concerne en aucun cas les enfants en situation de handicap. Cet accueil exceptionnel est destiné à répondre à des situations d'urgence pour les mineurs, sans jamais les admettre à l'hôtel, conformément à l'interdiction en vigueur.

Nous travaillons également sur une instruction pour clarifier les éléments évoqués et équiper les services départementaux et étatiques d'une logique de supervision et de contrôle. Le droit commun, réaffirmé avec force par la loi, prévoit que l'accueil des mineurs doit être assuré par des assistants familiaux ou des services et établissements autorisés. Les modalités d'accueil des mineurs n'incluent jamais les hôtels et, pour des durées limitées, peuvent inclure d'autres types d'accueil réglementés, comme les accueils collectifs de mineurs. Ces accueils sont toujours temporaires et destinés à faire face à des difficultés particulières, sans concerner, je le répète, les enfants en situation de handicap.

Je crois que le volet réglementaire a respecté l'intention du législateur sur ce sujet.

Pour répondre à vos autres questions, la question de la qualité de la politique de protection de l'enfance pose naturellement celle des normes et des taux d'encadrement. Vous avez raison de souligner que, dans d'autres domaines, des taux existent, mais ce n'est pas le cas partout. Par exemple, dans les établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE), en particulier les crèches, on observe les fameux taux d'un pour six ou d'un pour cinq, voire d'un pour huit, selon la situation des enfants. Pour les ESMS, dont les crèches ne font pas partie, il n'y a pas systématiquement de taux d'encadrement. La norme est plutôt l'absence de taux. Il n'existe pas de taux dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), bien que fréquentés par des publics vulnérables. Il n'y a pas non plus de taux en IME. Vous avez mentionné les écoles, mais il n'y a pas de taux d'encadrement dans ce cadre. La taille des classes, que nous nous efforçons de réduire, peut varier de manière significative. En matière de protection scolaire, il existe des taux d'encadrement, mais cela concerne les accueils collectifs de mineurs que j'ai évoqués plus tôt.

Certains comparent les taux d'encadrement en crèche à ceux de l'école maternelle. En école maternelle, les taux d'encadrement sont beaucoup plus lâches que ceux appliqués en crèche pour des enfants du même âge. Je ne souhaite pas dénigrer l'outil que représentent les taux d'encadrement, que je considère comme utile et sur lequel nous avons travaillé. Cependant, je tiens à le rappeler que cet outil n'est pas généralisé.

Nous avons un projet de décret sur les taux et normes applicables aux établissements accueillant des enfants de l'ASE. Ce projet de décret repose sur un dispositif socle et des dispositifs complémentaires en fonction des conditions et types d'accueil. Soumis à concertation dès 2021 avec les départements, il tient compte des situations réelles rencontrées par les collectivités. Les normes envisagées reposent, par exemple, sur un nombre d'équivalents temps plein (ETP) rapporté au nombre d'enfants, comme cela se fait classiquement. Nous ajustons le nombre d'ETP en fonction du nombre d'enfants accueillis et selon des critères de majoration. Par exemple, en cas d'urgence, pour des dispositions spécifiques d'accompagnement à l'autonomie, ou en raison de temps de trajet importants, nous majorons cette norme.

Nous disposons d'un dispositif complet et sophistiqué de normes permettant de mesurer les écarts dans les différents établissements, notamment les maisons d'enfants à caractère social (Mecs) gérées par les départements. Nous discutons actuellement avec ces derniers pour évaluer l'adaptation de ces normes aux besoins des enfants et aux capacités des départements. Si nous adoptons un décret concernant les taux et les normes applicables aux établissements et services accueillant des enfants de l'ASE, il est important de noter que ces établissements et services sont autorisés et tarifés par le département. Ainsi, tout coût de fonctionnement induit par ces nouvelles normes sera imputable et opposable au département, qui, comme je l'ai mentionné précédemment, consacre déjà des sommes importantes à la protection de l'enfance. Notre premier objectif est de mesurer le caractère acceptable de ces normes. Si les départements ne sont pas en mesure de répondre à ces exigences, nous risquons la fermeture de places d'accueil. L'alternative, sans vouloir être misérabiliste, serait de laisser des enfants sans solution, comme cela se produit dans d'autres domaines. Il est essentiel de garder à l'esprit, lorsque l'on souhaite réglementer une situation, les effets induits et, le cas échéant, les effets pervers que cela peut provoquer. Il y a une éthique de conviction qui impose des normes, et je partage cette conviction. Cependant, il y a également une éthique de responsabilité qui nous oblige à considérer ce qui se passera en pratique pour les enfants concernés. Personne ne souhaite évidemment qu'ils se retrouvent à l'hôtel ou, pire, à la rue sans solution. Nous avons parfois des alertes indiquant que certains départements, face à des contraintes très fortes, recourent à des dispositifs très dérogatoires. Nous avons évoqué la situation des mineurs non accompagnés, mais ce n'est pas la seule raison. Nous souhaitons augmenter la qualité des services ; nous sommes conscients de l'importance de ne pas se limiter à une logique de gardiennage, mais bien de fournir une éducation aux enfants à des âges déterminants pour leur développement psychosocial. Ces enfants ont souvent vécu des traumatismes très importants. En conclusion, il est crucial de trouver un équilibre entre l'imposition de normes nécessaires et la capacité des départements à les appliquer, afin de garantir un accueil et une prise en charge de qualité pour les enfants de l'ASE. Nous sommes tout à fait d'accord sur ce point, mais il est essentiel de peser les conséquences, y compris les conséquences non souhaitées et potentiellement dramatiques, qui pourraient découler d'un renforcement trop systématique des normes. Ce débat doit être mené avec le département, mais il inclut également une dimension financière. En effet, cette dépense serait imputable au département, qui se tournerait alors vers l'État pour demander quels moyens d'accompagnement celui-ci est prêt à mobiliser. Des juristes nous expliqueront que cette modification réglementaire, relevant d'une compétence transférée au département, doit être compensée par l'État. Je porte déjà sur mon budget divers dispositifs de soutien aux départements, que ce soit de manière conventionnelle, comme la contractualisation en prévention et protection de l'enfance, ou de manière plus directe, au titre d'une compétence qu'ils exercent, comme la compensation du coût dit de la soulte Castex pour certaines revalorisations des intervenants en protection de l'enfance.

Il faut donc considérer l'écart entre un idéal et la situation actuelle, ainsi que le coût et les conséquences si les départements ne peuvent pas immédiatement satisfaire ces exigences. C'est pourquoi ce processus prend du temps et n'a pas encore abouti. Je vous assure que le texte est prêt et se trouve sur la table des présidents des départements de France. Nous avons engagé un dialogue politique de haut niveau entre la ministre Sarah El Haïry et les représentants des départements, ainsi qu'un dialogue technique entre les départements et l'administration. Sept groupes de travail abordent la question de la qualité et du coût des normes. Je souhaite que ces décisions, prises à la fin de l'année et au début de cette année, avancent. Évidemment, avec le remaniement ministériel, cela a pris un peu de temps, mais Mme Sarah El Haïry a veillé à ce que ces travaux démarrent. Ils ont débuté, je crois, en bonne intelligence avec les départements. Il est impératif de trancher la question du calendrier de mise en œuvre et du niveau des normes à instaurer. Nous pourrons revenir plus en détail sur les discussions en cours dans les groupes de travail. Ma responsabilité consiste à réfléchir au bon niveau de normes, mais je ne peux pas décider seul, sans concertation avec les départements, d'imposer ces normes. Je tiens à votre disposition le tableau présentant le niveau de normes.

Vous avez mentionné la question des enfants de l'ASE rencontrant des difficultés spécifiques, notamment ceux en situation de handicap ou de double vulnérabilité. 25 % des enfants de l'ASE seraient porteurs de handicaps ou en situation de handicap. Une mission a été confiée au président de l'ONPE et à une autre personne pour analyser cette situation. Ils doivent produire un rapport d'ici la fin du mois, mais les premiers échos de leurs travaux suggèrent que le nombre d'enfants en situation de handicap pourrait être en réalité beaucoup plus élevé, confirmant ainsi une intuition partagée. Il semblerait que le chiffre de 25 ou 30 % ne représente que ceux reconnus par la maison départementale des personnes handicapées. Il faudrait également inclure ceux qui, sans être reconnus, sont néanmoins en situation de handicap. Ainsi, nous arriverions à des proportions sans doute très élevées, ce qui est préoccupant. Je vous rejoins totalement sur le fait que le département ne peut assumer seul cette responsabilité. C'est bien la politique du handicap qui est en jeu. C'est une politique partagée, la responsabilité incombe largement à l'État et à la sécurité sociale. Nous souhaitons être à la hauteur de cette question.

Une première réponse, certes modeste, mais néanmoins significative, réside dans la stratégie de protection de l'enfance que j'ai mentionnée, en détaillant les crédits de l'État. Son originalité et son intérêt principal résident dans le fait qu'au-delà des crédits d'intervention de l'État, nous avons établi des contrats entre l'État, le département et l'ARS. D'autres crédits sont venus renforcer cette action de l'État, notamment des crédits du fonds d'intervention régional (FIR). Des crédits de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), ainsi que des crédits d'assurance maladie dédiés aux situations de handicap, ont été imaginés dans un cadre contractuel entre l'ARS et le département. Ces crédits visent le développement de solutions médico-sociales en soutien aux services départementaux pour la prise en charge des enfants en situation de handicap. Par exemple, des équipes mobiles peuvent intervenir auprès des professionnels du département au sein des établissements et services de l'ASE pour aider à gérer certaines situations ou mettre en place des dispositifs médico-sociaux spécifiquement dédiés à ces enfants. Il existe un financement initial de 50 millions d'euros, qui sera complété par 50 millions d'euros supplémentaires dans le cadre de l'instruction que la ministre Sarah El Haïry s'apprête à signer. Ainsi, 100 millions d'euros sont prévus, il s'agit d'un effort inédit qui reflète la prise de conscience, partagée avec vous, de la nécessité d'accompagner les départements dans la prise en charge de ces situations.

Le plan connu sous le nom de « 50 000 nouvelles solutions » vise à développer un nombre conséquent de solutions pour les personnes et les enfants en situation de handicap. Nous abordons ici une question complexe liée à l'organisation des compétences entre l'État, la sécurité sociale et les départements. Nous attendons beaucoup des conclusions de la mission de Stéphane Haussoulier sur l'enfance et le handicap. Un comité interministériel du handicap se tiendra jeudi. Bien que ces sujets ne soient pas à l'ordre du jour, nous intégrerons les éléments apportés par la mission et les conclusions de votre commission d'enquête pour renforcer nos efforts dans ce domaine.

Nous cherchons également à définir une stratégie en matière de santé des enfants, y compris de santé mentale. Plusieurs expérimentations sont en cours. Ces initiatives visent à résoudre les problématiques de prise en charge sanitaire des enfants par la coopération entre les départements et la sécurité sociale. Ces expérimentations s'articulent autour d'un bilan de santé initial, suivi de rendez-vous et de prises en charge, y compris psychologiques, par des psychomotriciennes et des psychologues. Nous modélisons un système de coordination dont les conclusions sont très favorables, notamment dans le cadre de l'article 51, en termes d'impact pour ces enfants. Nous souhaitons généraliser les expérimentations Pegase et de santé protégée dans un avenir proche, notamment à l'occasion des annonces prévues lors des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant.

Vous m'avez interrogé sur la question des annulations budgétaires, et vous avez raison. Dix milliards d'euros de crédits ont été annulés en février. Les programmes 304, 157 et 137, dont j'ai la responsabilité, ont été concernés. Pour le programme 304, il a fallu trouver plus de 200 millions d'euros, soit par annulation, soit par gel des crédits. Je fournirai les chiffres précis dans les réponses aux questionnaires. Le ministre chargé de l'économie et des finances et le ministre délégué chargé du budget ont pris cette mesure nécessaire pour de bonnes raisons. Nous sommes solidaires de cette décision, notamment pour limiter la dérive du déficit budgétaire à un moment où les agences de notation surveillent notre pays de près. Il était impératif de montrer notre capacité à réagir face à une nouvelle dégradation imprévue du solde budgétaire, causée par un défaut d'encaissement des recettes en fin d'année. En effet, les recettes budgétaires et fiscales ont été insuffisantes, entraînant un déficit public plus élevé que prévu. Il fallait donc démontrer notre capacité à freiner les dépenses pour compenser cette déception en matière de recettes. Nous avons agi en ce sens, bien que cela n'ait pas été de gaieté de cœur.

J'ai la responsabilité d'un programme visant à soutenir les personnes vulnérables et en difficulté. Chaque fois que des économies sont réalisées sur ce budget, il y a des conséquences. Nous avons tenté de répartir ces économies de manière équitable. Nous avons commencé par annuler la réserve de précaution. A priori, cela n'affecte personne, bien que nous aurions préféré que cette réserve soit dégelée en fin d'année. Cette annulation n'a pas été affectée à un dispositif particulier. Ensuite, il a fallu répartir le reste des économies. 20 millions d'euros ont été annulés de manière pérenne sur la stratégie de protection de l'enfance, initialement budgétée à 140 millions d'euros. Bien que cela soit douloureux, il convient de noter que nous avons ajusté le budget en fonction du niveau de consommation observé. Les années précédentes, les départements ne dépensaient pas l'intégralité des crédits alloués. Nous avons donc ajusté la ligne budgétaire de protection de l'enfance à 120 millions d'euros, annulant ainsi 20 millions d'euros qui auraient pu être redéployés pour d'autres mesures de protection de l'enfance. Cet effort nous a semblé le plus praticable et représente moins de 10 % des annulations totales effectuées sur le programme.

Concernant le décret relatif aux agréments, je reconnais que nous avons tardé. Nous avons voulu attendre, ce qui fut une erreur, car nous aurions dû avancer techniquement sur la base de données des agréments. Ce décret, bien que succinct, prévoit qu'une personne dont l'agrément a été suspendu ou supprimé pour des raisons de maltraitance ne peut pas être agréée à nouveau, dans un délai donné. Cette disposition est essentielle. Quelqu'un qui se voit refuser ou retirer un agrément par un président de département doit être signalé à l'ensemble des départements de France. Il est essentiel de partager cette information via un fichier négatif, ou une sorte de liste noire des professionnels concernés. Pendant une durée déterminée, nous souhaitons systématiquement refuser toute nouvelle demande d'agrément pour ces personnes. Notre idée est de nous appuyer sur le GIP, car il constitue une structure commune réunissant tous les départements de France. Nous devons mettre en place un système de partage d'informations ou une grande base de données des agréments. Il nous faut organiser un système d'interrogation systématique du GIP par les départements. Ainsi, chaque département pourra vérifier si un professionnel figure sur une liste négative, recensant les agréments retirés depuis, par exemple, moins de trois ans, durée que nous retenons. Le décret est rédigé et le GIP est saisi de cette problématique. Il doit nous proposer une solution technique. Ce décret résulte de la concertation entre les représentants des départements de France et les associations départementales, notamment l'Association nationale des directeurs de l'enfance et de la famille (Andef) et l'Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé (Andass). Notre objectif est de consulter le CNPE sur ce sujet d'ici la fin du mois. La demande est très pressante, notamment de la part de Mme Sarah El Haïry, avec qui vous avez discuté de ce sujet, je crois.

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