Depuis mon arrivée à l'Assemblée nationale, j'ai toujours insisté sur le fait que le temps de l'enfant n'est pas celui de l'administration. Je pense aussi que nous marchons tous sur les pas de notre enfance. Cette réflexion s'appuie sur mon expérience de douze années en tant que vice-présidente de la protection de l'enfance du Val-de-Marne. Depuis 2014, j'ai participé à toutes les missions des ministres, en tant qu'élue départementale ou en tant que députée.
Ces missions m'ont permis de constater les difficultés rencontrées par les enfants sur le terrain. Derrière les statistiques, qui sont bien sûr nécessaires, se cachent les vies de près de 11 000 enfants âgés de zéro à trois ans. D'autres territoires, comme le Québec, sont capables de communiquer des informations concrètes pour élaborer des politiques publiques efficaces. Ces données, enrichies par des éléments territoriaux, permettent de guider les choix politiques et d'accompagner l'évolution des politiques publiques.
Les recherches actuelles montrent que l'investissement dans l'enfance est crucial pour l'avenir. Cet investissement, qui représente des milliards d'euros, devrait être une priorité ; il permettra d'accompagner ces futurs adultes, souvent en grande difficulté de santé et d'insertion professionnelle. Ces derniers ont le droit d'être des enfants épanouis aujourd'hui et des adultes heureux demain. Mon approche est nécessairement influencée par mon expérience et mon engagement dans ce domaine.
J'ai bien entendu et compris votre position initiale lorsque vous avez déclaré : « C'est une politique, mais ce n'est pas la nôtre ». Cependant, vous nous avez indiqué que les normes venaient de vous. Il a fallu attendre la loi Taquet du 7 février 2022 pour que tout le monde s'intéresse aux normes. Tout le monde n'est peut-être pas parent, mais pour ceux qui le sont, et même pour ceux qui ne le sont pas, les normes sont omniprésentes en crèche, en colonie, à la cantine, dans tout le périscolaire, à l'école. Il existe des normes pour les enfants, sauf pour ceux de la protection de l'enfance, qui sont les oubliés de la République. J'aimerais savoir pourquoi ce décret sur les normes d'encadrement n'est toujours pas publié. Quelles sont les raisons de ce retard ? La réponse ne peut pas être liée à la crise du secteur médico-social, car sinon l'État ne serait pas au rendez-vous. Cette question est liée à celle, majeure, de l'emploi dans ce secteur.
Ma deuxième question concerne les pouponnières, où l'on observe depuis plusieurs années une forte augmentation de l'arrivée de tout petits enfants, d'après les statistiques de la Drees. L'État s'est intéressé aux bébés, avec les travaux de Boris Cyrulnik sur les mille premiers jours, considérés comme une priorité pour le développement de l'enfant. Nous, acteurs de la protection de l'enfance, connaissions cette importance depuis longtemps. Mais les enfants de la protection de l'enfance accueillis en pouponnière restent soumis à un décret de 1974. Je rappelle que ce décret prévoit un adulte pour trente bébés la nuit et un adulte pour six bébés durant la journée. Cette situation est inadmissible, pourtant l'État n'a pas pris de mesures depuis 1974. Cela n'a jamais semblé poser problème à quiconque.
Il est extrêmement intéressant de constater les évolutions la protection de l'enfance depuis l'après-guerre. Aujourd'hui, avec les connaissances en neurosciences et en développement de l'enfant, il est impensable de maintenir ce décret de 1974 en l'état. La commission d'enquête prévoit de se rendre dans une pouponnière en sureffectif, accueillant des enfants avec des problématiques majeures. Il est inconcevable de penser que cette situation puisse perdurer. Cette commission a pour mission d'éclairer et de trouver des solutions, en signalant à l'État que sa politique actuelle est inadéquate. Le chef de file de cette politique est le président du département, mais ce n'est pas à lui de modifier les normes ou de réviser le décret de 1974. Ce n'est pas non plus à lui de gérer les retards dans la publication des décrets, comme celui concernant l'hébergement en hôtel. De plus, un décret récemment publié est incompréhensible, laissant penser qu'une personne titulaire du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa) pourrait encadrer des jeunes dans un village de vacances. Nous ignorons si l'accompagnement doit être assuré de jour comme de nuit, ce que nous souhaitons. Nous ne connaissons pas non plus le taux d'encadrement requis, ni le taux de présence nécessaire. Le décret est sorti le lendemain d'un drame terrible. Il est évident qu'il n'a pas été rédigé en une nuit - du moins, je l'espère. Ce qui est certain, c'est qu'il a été publié au milieu d'un scandale et qu'il n'est pas suffisamment clair. L'interdiction de l'hébergement en hôtel est claire, mais le décret laisse de nombreuses interrogations et certains départements profitent de ses failles et de ses imprécisions. Nous souhaitons que cela cesse. Nous voulons que les enfants puissent être protégés. La France, septième puissance mondiale, a la capacité d'accompagner les jeunes, y compris les mineurs non accompagnés, qui ne représentent que 10 % des jeunes accueillis. Ne pas être en mesure de les accompagner est impressionnant.
Concernant le décret sur l'agrément des assistants familiaux et maternels, je rappelle que des assistantes maternelles maltraitantes peuvent s'installer dans un autre département. Pourquoi faut-il deux ans, voire deux ans et demi, pour publier un décret sur ce sujet ? Nous parlons de maltraitance, de personnes pouvant quitter un département pour s'installer ailleurs, simplement parce que nous n'avons pas de logiciel national. C'est inacceptable. Déterminer les besoins s'avère toujours extrêmement compliqué. Les statistiques sont une chose, mais il est essentiel d'avoir une vision des besoins à l'échelle de nos territoires, en tenant compte des mutations sociales et des problématiques rencontrées. Il faut adopter une approche de recherche selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé, qui inclut des indications sociales, environnementales, économiques et sociologiques. Cela permettrait d'éclairer le débat public et d'aider les acteurs publics à construire leur politique et à offrir des places supplémentaires pour les jeunes, dans les meilleures conditions. Il est évident que de nombreux éléments font défaut, et ce n'est pas uniquement le département qui pourra les résoudre.
Bien que la DGCS n'est pas responsable de tout, il est important de souligner que l'État doit être aux côtés des départements dans une démarche de co-construction. Prenons l'exemple d'un enfant porteur de troubles autistiques nécessitant une place en institut médico-éducatif. Si le territoire ne dispose pas de telles structures, que se passe-t-il après une rencontre avec l'agence régionale de santé (ARS) ? Comment cela se traduit-il concrètement en termes de places disponibles ? certains enfants ont besoin d'une prise en charge en établissement spécialisé, où aucune place n'est disponible. L'État est responsable de la politique en matière de handicap et doit accompagner les départements. C'est un écosystème, la protection de l'enfance ne peut être assurée uniquement par le chef de file d'un département. Répondre aux questions de justice, d'éducation nationale, d'égalité réelle, d'accompagnement vers les formations, l'orientation et les études supérieures nécessite un partenariat entre l'État et les départements.
J'attends évidemment des réponses En ce qui concerne les décrets. Quant au projet Olinpe, il est extrêmement intéressant. Je ne suis pas la seule à avoir lu l'article du journal Le Monde ; je suppose que vous l'avez également consulté. Cet article a suscité notre intérêt concernant ce logiciel coûteux, qui constitue un problème majeur déjà souligné dans le rapport de la Cour des comptes. Bien que la commission d'enquête ne me donne pas accès à toutes les informations, la lecture de cet article soulève des questions sur les paradis fiscaux et les entreprises privées impliquées dans ce logiciel onéreux, potentiellement lié à des données américaines. Il est légitime de se demander où sont stockées nos données. Ces préoccupations ont déjà été formulées dans plusieurs rapports de l'Igas et de la Cour des comptes. J'aimerais également recueillir votre avis sur ce point.
Concernant la partie budgétaire, le gouvernement a récemment pris des décisions de restriction budgétaire que je ne partage pas, mais qui sont néanmoins actées. Comment cela se traduit-il en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) pour la protection de l'enfance ? Est-ce que ce secteur est impacté ? Pouvez-vous nous éclairer sur les 50 millions d'euros d'AE, pour lesquels il semble y avoir des annulations de crédits, et sur les CP du programme 304, relatif à l'inclusion sociale et à la protection des personnes, qui affectent directement les crédits alloués à la protection de l'enfance ? La lisibilité de ces informations n'était pas évidente.
Enfin, concernant le décret de 1974, je tiens à préciser que j'ai également interrogé Madame la ministre Sarah El Haïry au sujet des pouponnières. Je souhaite absolument que ce décret soit modifié.