Intervention de Sébastien Vincini

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 15h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne :

Je tiens en premier lieu à saluer la démarche des parlementaires ayant conduit à la constitution de cette commission d'enquête, qui honore notre modèle démocratique en visant la transparence.

Avant de répondre aux questions que vous m'avez adressées par écrit, je souhaite rappeler quelques éléments de contexte. J'ai été élu conseiller départemental en 2015, et le président Georges Méric m'a confié la mission de rapporteur général du budget, en charge du personnel et du patrimoine départemental. En 2021, réélu, j'ai été nommé premier vice-président en charge des finances, du numérique et de l'innovation. Enfin, j'ai été élu président du conseil départemental de Haute-Garonne le 13 décembre 2022.

Ma première prise de parole publique sur le projet de l'A69, en septembre 2023, était liée, en effet, à la déclaration de plus de 1 500 scientifiques, parmi lesquels Christophe Cassou et Valérie Masson-Delmotte, à laquelle j'ai été particulièrement sensible. L'objectivité et la rationalité scientifiques sont les fondements de mon engagement, tant professionnel, en tant qu'ingénieur agronome de formation et ingénieur territorial, que personnel et politique. Je considère que les décideurs publics ne peuvent nier sciemment les faits scientifiques sans compromettre le caractère démocratique de leurs décisions. Le Grand Sud de la France est aujourd'hui considéré par les scientifiques comme un hotspot du réchauffement climatique. Concrètement, depuis le début du XXIe siècle, la Haute-Garonne a enregistré une augmentation de la température moyenne de plus de 1,7 degré. Les années 2022 et 2023, ainsi que les premiers mois de 2024, constituent déjà de nouvelles références en matière d'emballement climatique, avec des répercussions importantes.

En tant que décideur public, je me dois de prendre en compte ces données scientifiques pour orienter mes actions et décisions. Depuis ma prise de fonction, j'ai impulsé une politique de bifurcation écologique, favorisant l'adaptation à ces bouleversements à l'échelle locale, et leur atténuation. Dans cette perspective, j'exige que chaque projet d'infrastructures sous la maîtrise d'ouvrage directe du conseil départemental de la Haute-Garonne soit examiné en tenant compte des rapports scientifiques sur le changement climatique, de ses impacts environnementaux, et de l'accélération des phénomènes observés dans notre département.

Je considère que, face au défi climatique, il convient de reconsidérer le projet de l'A69. J'ai d'ailleurs interpellé l'État, qui en est le maître d'ouvrage, et lui ai suggéré un moratoire. Je comprends encore aujourd'hui les décisions prises il y a trente ans pour envisager ce type d'infrastructure, ainsi que les choix de mes voisins tarnais de solliciter ce projet. Je ne porte aucun jugement de valeur sur ces décisions, ni même sur les attentes des populations du bassin castrais, qui perçoivent leur situation comme une forme d'enclavement.

La contribution de notre collectivité reste marginale à l'échelle du projet. Bien que ma vision soit différente de celle de mon prédécesseur, il m'appartient, en tant que président, d'assumer la continuité des décisions et des engagements contractuels pris antérieurement. Sous ma présidence, nous avons émis des réserves chaque fois que notre avis a été sollicité sur ce projet. Comme je l'ai indiqué, le département de la Haute-Garonne ne mettra pas un centime supplémentaire sur ce projet. Il ne me revient pas de me prononcer sur la conformité juridique de ce projet, pour lequel toutes les autorisations requises ont été obtenues, sous réserve de l'éventuel aboutissement des recours. Je suis ici pour clarifier, sur la base des éléments en ma possession, les décisions prises par le conseil départemental de Haute-Garonne. À ce titre, je vais répondre aux questions que vous m'avez transmises.

L'une des premières questions concerne les principes et modalités du versement du concours public. Il est d'abord question du processus décisionnel ayant conduit au principe de cette dotation, puis au montant finalement retenu pour le concours public à verser par les collectivités. À ma connaissance, la première sollicitation formelle du département de la Haute-Garonne concernant les concours publics dans le cadre d'un contrat concessif, remonte à un courrier du préfet de la région Midi-Pyrénées et de la Haute-Garonne, M. Henri-Michel Comet, daté du 15 janvier 2014, adressé au président d'alors du conseil général de la Haute-Garonne. Dans ce document, le préfet demandait au conseil général de bien vouloir exprimer son avis sur le principe d'une concession autoroutière pour l'aménagement de la route nationale 126.

L'aménagement complet à deux fois deux voies était alors estimé à 500 millions d'euros toutes taxes comprises. En cas de concession, la subvention d'équilibre versée par les partenaires publics au concessionnaire était estimée à 180 millions d'euros, dont 90 millions d'euros à la charge des collectivités locales. En cas de maîtrise d'ouvrage public, en tenant compte des clés de financement habituelles entre l'État et les collectivités locales, la part de financement des collectivités était estimée à 230 millions d'euros hors taxes.

À ma connaissance, aucune initiative n'a été prise par le conseil général pour le versement d'un concours public. D'ailleurs, par un courrier en date du 21 mars 2014, le président d'alors, M. Pierre Izard, a répondu au préfet en transmettant la délibération prise par l'Assemblée départementale du 29 janvier 2014, qui se prononçait à l'unanimité en faveur d'un aménagement gratuit, durable et concerté pour l'amélioration de l'itinéraire Toulouse-Castres. À ma connaissance, le département n'a jamais été sollicité pour contribuer à un plan de financement dans le cadre d'un simple élargissement, sous maîtrise d'ouvrage public, de la RN 126. Le courrier du préfet, datant de 2014, est par conséquent la dernière évocation d'une maîtrise d'ouvrage public.

En 2014, le Gouvernement a décidé de poursuivre l'aménagement de la liaison sous forme de concession autoroutière, et de relancer les études préalables à l'enquête publique. La concertation s'est poursuivie jusqu'à la décision du préfet de région, qui a validé le tracé le 31 juillet 2014. Ainsi, entre 2014 et début 2016, période durant laquelle les services de l'État ont réalisé les études, les échanges avec les collectivités ont été interrompus. Ce n'est que lors d'un comité de pilotage, le 11 février 2016, que l'État a réaffirmé son engagement sur ce projet, en présentant un calendrier détaillé pour le lancement de l'enquête publique prévue à la fin de l'année 2016.

Lors de la séance du 29 juin 2016, avant l'ouverture de l'enquête publique, le conseil départemental de Haute-Garonne s'est positionné sur plusieurs points : améliorer l'itinéraire entre Castres et Toulouse tout en préservant les territoires traversés, notamment Verfeil, à la faveur d'un projet financièrement supportable, refuser la réalisation d'un barreau autoroutier neuf proche de la zone urbanisée de Verfeil, et accepter l'intégration de la route départementale 20, en déviation de Verfeil, dans l'autoroute Castres-Toulouse, tout en maintenant cette déviation gratuite, en reportant le péage à l'Est de Verfeil. Après la clôture de l'enquête publique, des réserves ont été émises, notamment concernant l'impact sur la commune de Verfeil. Lors du comité technique du 18 mai 2017, et du comité de pilotage du 19 juin 2017, l'État a présenté trois options pour traiter cette réserve. L'option finalement retenue consistait à intégrer dans le tracé de l'autoroute une partie de la déviation actuelle de Verfeil sur la RD20, qui prolonge la RN126, en laissant la portion correspondante libre de péage.

Lors de ce comité technique du 18 mai 2017, nous avons discuté de la répartition de la part restant à la charge des collectivités territoriales, soit 50 % de la subvention d'équilibre. Il a été proposé de baser le calcul sur le linéaire de l'infrastructure par département, afin de déterminer la part respective de chaque département. L'État avait alors estimé le montant de la subvention d'équilibre à 230 millions d'euros. Ce montant, de même que la clé de répartition et les modalités de versement, avaient été établis par l'État. Sur cette base, nous avons initié le tour de table financier avec les collectivités, en adoptant la répartition suivante : 50 % pour l'État et 50 % pour les collectivités, dont 25 % pour la région et les départements de la Haute-Garonne et du Tarn, et les 25 % restants répartis selon les ratios kilométriques. La part du conseil départemental de la Haute-Garonne a été calculée sur la base du ratio kilométrique du linéaire d'autoroute construit en Haute-Garonne, soit 13 % de ce linéaire. Le conseil départemental a ensuite demandé de déduire 50 % du coût de la déviation de Verfeil, réalisée par le département en 2003, et financée à parts égales entre la région et le département. Le 17 octobre, le département a délibéré sur sa participation financière, qui s'élevait à 3,5 millions d'euros, soit 0,9 % du coût total.

Le conseil départemental de Haute-Garonne n'a pas déterminé librement le montant de son concours. Comme pour tout projet partenarial, une collectivité ne décide pas seule. Il convient toutefois de préciser que ma collectivité n'a jamais remis en cause le principe de la subvention d'équilibre, tant qu'un modèle concessif était retenu. Dans ce cadre, nos seuls interlocuteurs ont été les services de l'État, notamment les ministères, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), les préfectures, le secrétaire général pour les affaires régionales, la direction départementale des territoires et les collectivités partenaires. Le montant du concours du conseil départemental est resté inchangé jusqu'à la désignation par l'État du concessionnaire. À aucun moment nous n'avons été associés aux décisions du concessionnaire, avec lequel nous n'avons pas échangé avant sa désignation.

Quant à la réduction du montant du concours public de 230 millions d'euros à 23 millions d'euros, le règlement de la consultation pour l'attribution de la concession prévoyait, parmi les critères de jugement des offres, celui du niveau des concours publics. Ainsi, tous les candidats ont été incités à déposer des offres où les concours publics étaient réduits. Le candidat retenu a probablement proposé un montage financier divisant par dix le niveau des concours publics, par rapport à l'estimation administrative.

Mes services n'ont bénéficié que d'une présentation très succincte et anonymisée des trois candidatures le 2 septembre 2021, en présence de l'ensemble des partenaires. Au final, le concours du conseil départemental, conformément aux dispositions du cahier des charges de la concession, s'élève à 355 140 euros, soit 0,08 % du financement total. Ma collectivité est engagée en ce sens par le biais de deux conventions contractuelles financières, l'une entre l'État et les collectivités locales contributrices, l'autre associant le concessionnaire, annexée au cahier des charges du contrat de concession. Ces deux conventions ont été approuvées par deux délibérations de ma collectivité, le 25 novembre 2021 et le 16 décembre 2021.

Vous m'avez demandé par écrit si ce montant de 23,13 millions d'euros est un montant maximum, et s'il pouvait être réduit. Je rappelle que le cahier des charges de la concession stipule qu'il s'agit d'un montant maximum. Toutefois, les conventions contiennent des échéanciers de versement précis. À ma connaissance, aucune discussion n'a eu lieu en vue d'une réduction de ce montant.

Ensuite, vous m'avez demandé si ma collectivité avait connaissance des valeurs actualisées des sommes à verser. À ce jour, il n'existe pas de montant globalisé actualisé de notre contribution. Cette actualisation nous est communiquée lors de chaque demande de versement. Les appels de fonds se font selon un échéancier contractuel, et leur déclenchement dépend d'événements liés à l'opération. Les autorités adressent alors aux collectivités un titre de paiement à régler en remboursement de leur avance. À ce jour, ma collectivité a versé à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit) la somme de 36 888,09 euros en novembre 2022, correspondant aux événements clés EC1 et EC2, ainsi que 159 010,02 euros en mars 2024, pour les événements clés EC5, EC6, EC7, en tenant compte d'une révision moyenne de 3 %. J'ai indiqué que le département ne verserait pas un centime de plus dans le cadre de ce projet. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à mes services d'étudier toutes les modalités permettant de plafonner strictement la contribution de ma collectivité au montant contractuel de 355 140 euros.

Vous avez posé des questions relatives aux dispositions des conventions financières régissant la répartition du concours public et le remboursement, à la possibilité de définir une répartition différente entre collectivités, et à la possibilité d'intégrer de nouveaux financements publics et de prévoir un versement de la part du concessionnaire. À ce jour, ma collectivité n'a participé à aucune discussion relative à la mise en œuvre de tels mécanismes.

Plusieurs de vos questions portaient sur les évolutions du montant de la subvention d'équilibre. J'ai déjà répondu sur la réduction du concours du département. Aucun échange n'a eu lieu avec l'État durant la procédure d'attribution de la concession. Deux des trois candidatures présentées lors du comité technique du 2 septembre 2021, qui s'est déroulé en présence de l'ensemble des co-financeurs, proposaient une réduction importante de la subvention d'équilibre. À cet égard, il est évident que le département n'avait aucune appréciation sur la stratégie de réponse de chaque candidat. Le 25 septembre 2021, lors d'une visite, le Premier ministre d'alors, M. Jean Castex, a annoncé le nom du concessionnaire pressenti, à savoir NGE Concessions, désigné le 22 octobre, NGE comme concessionnaire par décision ministérielle. Le montant exact du concours du département a donc été communiqué durant cette période, et figure dans les conventions financières approuvées par l'Assemblée départementale des 25 novembre et 16 décembre 2021, informant ainsi les membres de l'assemblée départementale de cette diminution.

Sur les variations de chiffres relevées entre l'article 24 du contrat de concession et son annexe 18, je précise qu'à ma connaissance, mes services n'ont pas eu accès à cette annexe. Le montant indiqué dans la convention financière, soit l'annexe 21 du cahier des charges, est de 23 134 904 euros. Le conseil départemental de Haute-Garonne considère comme valeur définitive celle qui a été affichée dans les conventions signées et délibérées à la fin de 2021.

Je souhaite maintenant aborder la question du lien entre les subventions d'équilibre et les tarifs de péage. Selon moi, l'idée que l'évolution de la subvention d'équilibre puisse impacter les tarifs de péage est purement virtuelle. D'abord, la corrélation entre le niveau du concours public et les tarifs de péage n'est pas démontrée. Ensuite, la possibilité de revoir les termes du montage financier fixé par le contrat de concession n'est pas établie. Enfin, les sommes issues du partage des éventuels gains financiers, du partage des éventuels fruits de la concession et de l'éventuel reliquat non utilisé des sommes prévues pour la politique « 1 % paysage, développement et cadre de vie », seront prioritairement affectées au remboursement des concours publics. Vous m'avez interrogé sur l'hypothèse d'une affectation de ces sommes à la diminution des tarifs de péage. Je n'y suis pas favorable. Le cas échéant, je proposerai à l'Assemblée départementale de diriger ces sommes éventuelles vers le financement d'actions en faveur de la bifurcation écologique et de la décarbonation des mobilités haut-garonnaises.

J'ai pris connaissance par voie de presse de la participation du groupe Pierre Fabre au pacte actionnarial, via la société Tarn Sud Développement. Quant à la participation de cette société à l'initiative d'Atosca et de Gaïa Energy Systems, ni mes services ni moi-même n'en avions connaissance avant de découvrir votre questionnaire.

En ce qui concerne un éventuel transfert de charges au conseil départemental de Haute-Garonne à la suite de l'ouverture de l'autoroute, je tiens à préciser que le conseil départemental n'est, en principe, pas concerné. En effet, la route nationale 126 n'existe plus côté haut-garonnais. En Haute-Garonne, il s'agit de la RD20, déjà gérée par ma collectivité territoriale puisqu'elle faisait partie des routes nationales transférées entre 2003 et 2005. Il convient de relever la particularité de la commune de Vendine, enclavée par le Tarn, et traversée par une portion de la RD20, anciennement RN26, sur 900 mètres précisément. Cette portion, transférée à ma collectivité en 2005, a continué à être gérée de manière opérationnelle et financière par l'État, sans compensation pour ma collectivité. Si la RN126 devait passer sous la gestion du département du Tarn, il serait nécessaire de redéfinir la gestion de ces 900 mètres de la RD20, sous maîtrise d'ouvrage départementale haute-garonnaise, afin d'en assurer la cohérence. Enfin, la portion de la RD20 constituant la déviation de Verfeil est parfaitement intégrée dans le périmètre de la concession, et fait l'objet de travaux dans le cadre de la construction de l'autoroute A69. Elle sera gérée par le concessionnaire, sans contribution financière du conseil départemental.

En conclusion, je souhaite, au-delà des problèmes introduits par le projet de l'autoroute A69, que les travaux et les conclusions de votre commission permettent à l'avenir d'anticiper et de résoudre les tensions potentielles entre la légalité et la légitimité de ce type d'infrastructure.

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