Je souhaite aborder trois points principaux. Votre intervention illustre bien les deux pôles du débat – les pôles symbolique et économique –, ainsi que les contradictions qui existent entre eux. Vous avez affirmé qu'il est totalement aberrant de rattacher ces monnaies à l'euro par un taux de change fixe. Je tiens à rappeler que ce choix est fait par une majorité de pays en développement. Peut-être est-ce une aberration, mais ce n'est pas simplement un archaïsme issu de la période coloniale : c'est un choix économique, justifié ou non, qui mérite d'être discuté de manière ouverte. Le terme « aberration » demeure colonial et illustre davantage le côté symbolique du débat que sa réalité économique.
Vous avez également évoqué un sujet non abordé jusqu'à présent : celui de la sortie de capitaux. Il est effectivement très difficile de quantifier les sorties de capitaux illégales ou informelles car elles ne sont pas répertoriées. Cependant, les études, notamment celles du Fonds monétaire international, ne montrent pas d'effets particuliers. Les fortes sorties de capitaux de l'Afrique subsaharienne sont dues à divers facteurs. Le manque de confiance et le désir des investisseurs de rapatrier rapidement leurs profits, par crainte de ne pas pouvoir le faire plus tard, sont des phénomènes communs à l'ensemble des pays en développement. En Afrique subsaharienne, il n'y a pas d'effet significatif de la zone franc sur ces sorties de capitaux. Toutefois, il convient de noter que toutes ces études présentent des biais, en raison de l'absence de données tangibles et incontestables sur les sorties de capitaux.
Enfin, je souhaite aborder un dernier point qui n'était pas directement dans votre question mais qui mérite d'être mentionné : les effets redistributifs de ce système. Dans le passé, il a souvent été affirmé que ce système profite principalement aux élites de ces pays. En effet, ces élites peuvent financer leurs appartements en France, leurs dépenses, leur consommation, ainsi que les études de leurs enfants dans l'hexagone. À l'inverse, ce système présente des désavantages pour les plus pauvres, notamment les paysans et les agriculteurs, qui souffrent de la faible compétitivité de leur production locale face aux produits alimentaires importés. Cette critique est fondée mais il existe une autre réalité. Une étude récente de la FERDI démontre qu'il n'y a pas d'avantages significatifs en termes de développement économique et de croissance. L'étude souligne un avantage en termes de stabilité monétaire, qui a des effets redistributifs positifs.
Lors de la dernière poussée d'inflation en France, nous avons constaté que ce sont d'abord les pauvres qui en souffrent. Lorsque l'inflation est accompagnée d'une dollarisation de l'économie, les pauvres en souffrent davantage car ils n'ont pas accès au dollar ou à une monnaie étrangère. Leur monnaie locale se déprécie rapidement, aggravant leur situation. Les effets redistributifs positifs de la stabilité monétaire sont donc à prendre en compte. Cette étude de la FERDI sur le système de taux de change fixe, tel qu'il est aujourd'hui, souligne l'importance de ne pas négliger cet aspect dans l'équation globale.