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Intervention de Émilie Laffiteau

Réunion du samedi 28 octobre 2023 à 9h05
Commission des affaires étrangères

Émilie Laffiteau, docteure en économie internationale et chercheuse associée à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) :

Ma présentation se concentrera sur deux points principaux : d'une part, un état des lieux concernant le rejet du franc CFA en Afrique et, d'autre part, une analyse des avantages et des inconvénients du système monétaire actuel, tant pour les pays africains que pour la France.

En ce qui concerne le rejet du franc CFA, il est indéniable que cette monnaie est actuellement très contestée, notamment en Afrique de l'Ouest et particulièrement au Sahel, principalement dans les pays ayant connu un coup d'État. Cette contestation se manifeste à plusieurs niveaux. Au niveau des citoyens, de nombreux slogans anti-franc CFA ont été observés lors des manifestations au Sahel, et ce rejet est également présent dans les discours des représentants politiques et de nombreux intellectuels. Deux arguments principaux sont généralement avancés : d'une part, l'héritage de domination coloniale que représente le franc CFA et, d'autre part, certains inconvénients liés à la parité fixe.

Je tiens à souligner que la contestation n'a jamais été aussi forte alors que, paradoxalement, l'influence de la France au sein du dispositif monétaire n'a jamais été aussi restreinte. Dans la pratique, on n'observe pas de rejet du franc CFA. En effet, son utilisation demeure courante à tous les niveaux, parmi tous les acteurs économiques. Cette confiance persistante se manifeste, par exemple, par la levée de fonds effectuée par la Côte d'Ivoire et le Bénin en début d'année sur les marchés obligataires, démontrant une forte confiance des investisseurs internationaux. Le franc CFA est utilisé tant dans les échanges courants que par les épargnants. Par ailleurs, au Zimbabwe, où l'on observe actuellement une hyperinflation massive et un effondrement de la monnaie, le franc CFA peut être perçu comme une valeur refuge. Cette situation est également observable dans d'autres pays de la zone ouest-africaine, tels que le Ghana.

Second élément sur ce premier point, nous n'observons pas de dépréciation réelle de la valeur du franc CFA. En effet, la valeur de cette monnaie par rapport aux devises étrangères n'a pas diminué ces dernières années, contrairement à ce qui est observé dans des pays voisins comme le Nigeria et le Ghana.

Le deuxième volet de mon intervention portera sur les avantages et les inconvénients du système monétaire actuel. Concernant les avantages pour les pays africains, j'en identifierai trois principaux.

Le premier avantage est la stabilité monétaire. Le système actuel permet une stabilité monétaire, ce qui signifie, d'une part, une inflation maîtrisée sur le long terme et, d'autre part, une faible variation du taux de change sur le long terme. Cette stabilité entraîne des conséquences positives, notamment sur le pouvoir d'achat des populations. C'est un enjeu majeur dans des pays en développement où près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. De plus, cette stabilité favorise les investissements directs étrangers en limitant le risque de change.

Le deuxième avantage du système monétaire actuel est la mutualisation des réserves de change. Les réserves de change sont cruciales car elles permettent aux pays de détenir des devises pour échanger et s'approvisionner avec l'étranger. Le système monétaire actuel représente un instrument de répartition du risque au niveau régional, permettant à des pays d'avoir accès à des réserves de change, notamment ceux qui en accumulent très peu, voire quasiment pas.

Le troisième avantage est que le système actuel favorise l'intégration régionale en ouvrant les pays à un marché régional et en facilitant les échanges entre eux. Cependant, cet avantage reste relatif, compte tenu des échanges limités au sein de la zone UEMOA et de la zone CEMAC.

Tout système monétaire comporte des avantages et des inconvénients. Parmi les inconvénients majeurs, le premier est la perte de l'instrument discrétionnaire de politique monétaire au niveau national. Cette souveraineté monétaire a été transférée à une échelle régionale, ce qui prive les pays d'un outil essentiel pour la politique économique contra-cyclique. Dans des pays où la politique budgétaire est déjà très contrainte, cette perte d'outils contra-cycliques rend les économies plus vulnérables aux chocs, qui sont moins amortis. Le deuxième inconvénient concerne l'arrimage du change fixe avec l'euro. Les pays de la zone franc commercent de plus en plus avec des zones autres que la zone euro, ce qui soulève la question de la pertinence de cet arrimage. Le niveau de la parité est également un sujet de débat. Actuellement, un euro vaut 656 francs CFA. Les critiques du franc CFA estiment que ce taux est surévalué, ce qui favorise les importations et décourage les exportations. En revanche, les défenseurs du système soutiennent que ce taux reflète bien le niveau de compétitivité-prix de la zone. Selon les dernières études réalisées par le FMI et la FERDI, le taux de change actuel reflète effectivement le niveau de compétitivité-prix.

Je souhaite souligner que le débat autour du régime de change constitue un élément clé pour évaluer l'adaptation du système actuel aux réalités des pays concernés, qu'il s'agisse de l'Afrique de l'Ouest ou de l'Afrique centrale.

La dernière partie de mon intervention portera sur les avantages et les inconvénients du système monétaire actuel pour la France. Le principal avantage pour la France réside dans la stabilité qu'il procure. En effet, la France n'a aucun intérêt à assister à une crise monétaire ou à une dévaluation de la monnaie dans ces pays, en raison de ses collaborations économiques, ce qui implique des risques de change. L'inconvénient majeur pour la France réside dans la garantie de convertibilité exercée par le Trésor français. Si les réserves de change de la BCEAO, de la BEAC ou de la Banque des Comores s'épuisent, la France s'est engagée à fournir ces banques centrales en devises. Deux cas de figure se présentent alors : si la France honore cet engagement, cela sera difficilement tenable politiquement pour le contribuable français ; si elle ne le fait pas, elle sera tenue responsable par les citoyens africains d'une crise systémique potentielle. Dans les deux cas, la situation est politiquement complexe pour la France.

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