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Intervention de Jean-Marc Zulesi

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Zulesi, rapporteur :

Permettez-moi tout d'abord d'effectuer une précision sémantique, issue des auditions. La proposition de résolution européenne que j'ai initialement déposée fait mention de « méga-camions ». Au fil des auditions, j'ai appris que l'expression scientifique pour désigner ces poids lourds est « système modulaire européen ». Par souci de précision, je retiendrai donc cette expression pour le reste de la présentation.

Dans le cadre des auditions, j'ai pu me rendre compte qu'à force d'utiliser le terme « méga-camions » je pouvais donner l'impression que la proposition de résolution était contre le transport routier. Ce n'est pas le cas. Les routiers effectuent un travail exceptionnel. Nous l'avons constaté pendant l'épidémie de coronavirus. Nous le constatons également aujourd'hui : si nous sommes en capacité quotidiennement de jouir d'un certain nombre de produits stratégiques ou du quotidien c'est grâce au travail des routiers, que je veux mettre en avant. L'objet de la PPRE n'est donc pas de lutter contre les routiers mais d'avoir une démarche volontariste en matière de développement du fret ferroviaire. Je le dis d'autant plus que nous sommes face à un enjeu crucial : lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Le secteur des transports représente 30 % de ces émissions. La solution est la décarbonation de ce secteur et le renforcement de la multi-modalité pour pouvoir passer d'un transport à un autre beaucoup plus rapidement. Je pense en particulier à la combinaison entre ferroviaire et routier, ou entre routier et fluvial.

Or, le 11 juillet dernier, la Commission européenne a publié une proposition législative visant à réviser une directive de 1997 du Conseil fixant les dimensions maximales autorisées pour les poids lourds. Le 12 mars dernier, le Parlement européen a adopté, d'une courte majorité, le texte. Cette proposition a une ambition louable : contribuer à la décarbonation du secteur du transport routier de marchandises. Il contient notamment une proposition qui paraît intéressante : l'augmentation du poids autorisé pour les véhicules lourds, ce qui permet de prendre en compte le poids des batteries électriques.

Je ne soutiens toutefois pas ce texte car il vise à libéraliser les « méga-camions ». La proposition de résolution européenne formule deux propositions importantes.

Tout d'abord, la directive propose que si un État membre autorise un véhicule d'un poids de 42 ou de 44 tonnes en trafic national, cet État ait l'obligation de l'autoriser en trafic international. Or, cette disposition existe déjà dans la directive 96/53/CE pour les véhicules lourds de 42 et 44 tonnes, sous réserve que ces véhicules effectuent des opérations de transport intermodal. Ainsi, le texte revient sur une ambition très forte qui est un des principaux avantages du transport intermodal et contrevient directement à l'objectif de favoriser l'intermodalité, très clairement promu par le mécanisme pour l'interconnexion en Europe et le réseau transeuropéen de transport. En effet, selon une étude du cabinet indépendant D-Fine, cette exception constitue une incitation pour le transport intermodal et permet des économies de 75 à 90 % de CO2 et d'énergie. Si le texte est voté au Conseil en l'état, le gabarit de 44 tonnes serait généralisé pour les passages aux frontières dans toute l'Europe. Cela engendrerait, sans aucun doute, un report modal inversé.

Or, nous investissons 4 milliards d'euros en faveur du fret et du fret ferroviaire en France entre 2023 et 2032, complétés par des subventions européennes : cet argent doit servir à la construction et à l'amélioration de nos plateformes multimodales, comme celle de Miramas dans les Bouches du Rhône. Quel serait, si le texte était adopté en l'état, le message envoyé à notre industrie ferroviaire, à notre industrie fluviale ? Quelle serait la cohérence de nos politiques publiques, si nous investissions d'un côté dans des installations, et que nous désincitions à y recourir dans le même temps ? C'est la première raison pour laquelle il me semble nécessaire de revenir sur cette directive.

Ensuite, et c'est là le cœur de cœur de ma proposition de résolution européenne, l'adoption de cette révision en l'état autoriserait une forme de libéralisation des conditions de circulation des systèmes modulaires européens à circuler sur les routes européennes, au prétexte de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela constitue, selon moi, une fausse solution ainsi qu'un message très négatif envoyé au fret ferroviaire européen.

La légère réduction des émissions de gaz à effet de serre, certes indéniable, que l'autorisation des mégas-camions en Europe permettrait, serait plus que neutralisée par le report modal inversé qu'elle susciterait. Sous prétexte de verdir les camions à l'horizon 2035, la Commission prend le risque de s'attaquer au transport combiné ! En effet, l'étude du cabinet allemand D-fine évalue à 20 % le report du rail vers la route qu'induirait la libéralisation de la circulation des méga-camions. Ainsi, libéraliser l'usage des méga-camions équivaut à légèrement réduire les émissions à court terme, tout en s'empêchant de les réduire drastiquement à long terme.

Ces camions plus lourds et plus longs, posent également problème pour nos infrastructures de transports. Je pense notamment à l'aménagement de nos ronds-points, passages à niveaux, ponts routiers, parkings et routes qui n'ont pas été conçus pour faire circuler ces camions. Ces aménagements se feraient sans doute aux frais du contribuable français.

Vous l'avez compris, ma position est une position pragmatique : je ne m'oppose pas en tant que tel aux méga-camions. En effet, il y a peut-être une nécessité d'expérimentation lorsqu'il n'existe pas de solution ferroviaire associée, lorsque l'infrastructure est adaptée, mais en aucun cas ces camions ne doivent être utilisés en concurrence du transport combiné. Ils doivent être regardés dans un cadre bien précis, et surtout en cohérence avec notre stratégie au niveau européen, puisque nous avons une stratégie de mobilité durable et intelligente de la Commission européenne, avec des objectifs très clairs de réduction des émissions de CO2 des camions et des bus de 90 % à partir de 2040.

Rappelons également que nous avons des textes ambitieux en préparation, visant à développer le fret et à soutenir l'intermodalité, tels que la proposition de règlement sur les orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport, ainsi que la proposition de règlement sur l'utilisation des capacités de l'infrastructure ferroviaire dans l'espace ferroviaire unique européen.

Le message est donc très clair. Ne brouillons pas ce message en ayant des politiques publiques contradictoires au niveau européen. Il nous faut encourager la réduction des émissions du secteur routier. L'Union européenne doit continuer de prendre des positions fortes en matière de fret ferroviaire et fluvial.

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