Intervention de Béatrice Descamps

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBéatrice Descamps, rapporteure :

Il est des sujets dont nous connaissons toute l'importance ; certains moments, certaines rencontres font qu'en tant qu'élus, nous ne pouvons faire autrement que de nous en saisir.

Il y a plusieurs mois, le parent d'un jeune de 19 ans décédé brutalement lors d'un entraînement de rugby est venu me dire : « Mon fils est décédé, mais d'autres vies pourraient être sauvées à l'avenir. » Cette rencontre m'a marquée, bien sûr, mais elle m'a surtout confortée dans la conviction que nous devions tous agir si nous le pouvions.

Chaque année, 50 000 Français sont victimes d'un arrêt cardiaque soudain. Si un massage cardiaque est effectué rapidement, les chances de survie passent de 16 % à 50 %. Sept fois sur dix, les arrêts cardiaques se produisent devant des témoins, mais moins de 40 % d'entre eux font les gestes de premiers secours. Or chaque minute sans massage cardiaque diminue de 10 % les chances de survie, et les services de secours arrivent en moyenne dix à douze minutes après avoir été appelés.

Ces chiffres concernent seulement les arrêts cardiaques, mais on estime de manière plus générale qu'en France 200 000 vies pourraient être sauvées chaque année si 80 % de la population était formée aux gestes de premiers secours. Les nombreux professionnels de santé que j'ai rencontrés – cardiologues, urgentistes, pompiers et secouristes – m'ont d'abord rappelé combien les quatre minutes qui suivent un arrêt cardiaque sont primordiales. Pendant ce laps de temps, ce sont les proches, le passant, l'éducateur ou le collègue qui pourront intervenir. Le maillon citoyen est donc primordial pour sauver des vies.

Comme me l'a confié un médecin urgentiste, nous avons fait beaucoup de progrès en médecine, en chirurgie, en technologie avec les défibrillateurs, mais en France, ce qu'il manque c'est le maillon citoyen. Selon un professeur chef de service en cardiologie, « il faut convaincre la population de la nécessité d'une formation. Un geste, même imparfait, est plus efficace que la passivité, car agir c'est donner une chance de survie à la victime. Pourtant, beaucoup de personnes n'osent pas prodiguer les gestes de premiers secours par peur de mal faire ou d'aggraver la situation. L'une des solutions est d'apprendre ces gestes dès l'enfance, afin qu'ils soient naturels. »

Nous devons donc progresser vers la généralisation des formations aux gestes de premiers secours tout au long de la vie, car c'est par la répétition des apprentissages et la systématisation de l'offre de formation à différents âges que le plus grand nombre se sentira capable d'agir en cas d'urgence.

C'est ainsi que j'ai pensé le contenu de cette proposition de loi.

L'article 1er cible deux moments charnières – la scolarité obligatoire et le monde du travail – et s'inscrit dans la continuité de la loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent. Cette loi a notamment introduit la notion de « continuum éducatif » de la formation aux gestes de premiers secours, de l'école primaire au lycée. Elle a également rendu obligatoire une sensibilisation aux gestes qui sauvent, organisée par l'employeur, au bénéfice des salariés partant à la retraite. Toutefois, la portée de ces dispositions s'est révélée limitée, appelant leur renforcement.

En ce qui concerne la formation aux premiers secours à l'école, je proposerai par amendement une réécriture de l'alinéa 2 de l'article L. 312-13-1 du code de l'éducation, afin de préciser que les actions de sensibilisation doivent être répétées et renouvelées régulièrement tout au long de la scolarité obligatoire. Je souhaite aussi ajouter que cet apprentissage prend la forme d'un module d'enseignement adapté à l'âge des élèves, de l'école maternelle à l'école élémentaire. Intitulé « apprendre à porter secours », ce module existe déjà, mais il demeure insuffisamment dispensé, même si le taux d'élèves formés augmente régulièrement.

S'agissant de la formation aux premiers secours au travail, l'article 1er du texte vise à rendre obligatoire son organisation par l'employeur, à l'issue de la période d'essai des salariés. Je proposerai par amendement que cette formation ait lieu dans les douze mois suivant leur prise de fonction.

Je serai également favorable à l'amendement de Mme Lanlo visant à étendre la sensibilisation aux gestes de premiers secours à l'ensemble des agents publics, ainsi qu'aux amendements tendant à garantir l'inscription des formations prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) et premiers secours en équipe de niveau 1 (PSE1) au catalogue du compte personnel de formation (CPF). Je regrette en effet que ce dernier ne permette plus de financer le certificat PSC1 depuis 2023.

L'article 1er comporte également un troisième volet, consacré à la formation des encadrants aux pratiques physiques et sportives, car la prévalence des accidents mortels lors de ces activités nécessite une attention toute particulière. La proposition de loi prévoit ainsi une formation approfondie obligatoire aux premiers secours dans les programmes de formation aux métiers du sport.

Toutes ces dispositions sont plus que nécessaires afin de rattraper nos voisins. Selon la Croix-Rouge, le taux de formation de la population française aux gestes qui sauvent est parmi les plus faibles d'Europe. Seuls 40 % de nos concitoyens en auraient suivi une, contre 95 % des Norvégiens, 80 % des Allemands et des Autrichiens ou 75 % des Islandais.

Dans beaucoup de pays, une sensibilisation équivalente en durée à celle du PSC1 est obligatoire pour passer le permis de conduire – en Allemagne, la formation dure neuf heures, en Suisse, elle est de six heures, et de huit heures en Slovaquie. En France, la formation PSC1 a une durée de sept heures. L'article 2 de la proposition de loi vise à suivre ces exemples et à rendre obligatoire la validation du PSC1 pour l'inscription au permis de conduire. En France, l'évaluation des gestes de premiers secours à cette occasion est minimale, pour ne pas dire inexistante. Je sais que cette proposition sera débattue, mais elle me semble évidente à plusieurs égards.

Par une circulaire de 2016, le Gouvernement s'est d'ores et déjà engagé à dispenser la formation PSC1 à 100 % des élèves sortant du collège. Le ministère de l'éducation nationale affirme d'ailleurs régulièrement consacrer les moyens nécessaires à l'atteinte de cet objectif : d'où les progrès réalisés. L'obligation de présenter un certificat PSC1 pour le permis de conduire incitera à réellement atteindre l'objectif de 100 % de suivi de cette formation et engagera les élèves à le demander au cours de leur scolarité. La plupart des candidats n'auront donc pas besoin de suivre cette formation au moment de préparer l'examen du permis de conduire.

Quant à ceux qui auraient à le faire, je ne souhaite pas que le dispositif constitue une charge financière. C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi prévoit un crédit d'impôt donnant lieu, le cas échéant, à un remboursement des frais de toute formation aux gestes de premiers secours qui resteraient à la charge du contribuable ou d'une personne rattachée à son foyer fiscal dans le cas des enfants.

Et pour continuer de parler froidement de chiffres et de budget, gardons à l'esprit que le coût pour l'État de ce dispositif est plus que négligeable en comparaison de toutes les dépenses que la généralisation des formations aux gestes qui sauvent permettrait d'éviter. Une vie sauvée vaut trente-sept fois le coût du sauvetage par les pompiers. Imaginez les économies que cette formation, qui coûte 60 euros par personne, permettrait de réaliser !

Enfin, l'article 2 prévoit d'exonérer de TVA ces formations. J'ai néanmoins déposé un amendement limitant cette exonération aux associations agréées de sécurité civile, de sorte à éviter qu'elle ne soit exploitée à des fins lucratives.

Par ce texte, je présente des propositions concrètes, raisonnables et réfléchies, mais je porte aussi la voix des personnes venues à ma permanence, qui m'ont touchée et qui m'ont fait confiance pour défendre cette question auprès de vous. Je n'ai qu'un objectif : sauver des vies et réduire significativement les conséquences des accidents qui peuvent nous toucher nous-mêmes ou nos enfants, nos parents, nos proches, dans notre quotidien, à tout moment.

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