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Intervention de Éric Coquerel

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des français

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Vous l'avez dit, je considère que la dette française n'est pas problématique par principe, même si je ne cultive pas l'idée selon laquelle il faudrait l'alourdir sans raison. Elle n'est pas, à tout le moins, le problème qu'on nous présente. Je me souviens d'ailleurs qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, mon prédécesseur, Éric Woerth, interrogé sur l'augmentation de la dette induite par les mesures prises à l'époque pour répondre à la crise du covid, s'était écrié : « Tout le monde sait que personne ne rembourse jamais la dette ».

Il voulait dire, comme je le fais depuis longtemps, qu'on ne rembourse jamais le stock, mais seulement la charge de la dette, tout simplement parce que la dette de la France est supportable et qu'il se trouve toujours suffisamment d'investisseurs pour la prolonger lorsqu'elle arrive à échéance. J'insiste sur ce point : si les comparaisons internationales qui nous sont présentées, parce qu'elles portent le plus souvent sur le stock, ont de quoi affoler, il faudrait en réalité se concentrer sur la charge de la dette, c'est-à-dire sur le montant remboursé chaque année.

Je crois savoir que M. François Ecalle – qui n'appartient pas au même camp politique que moi –, a expliqué, au grand étonnement de la commission d'enquête, que, pour établir des comparaisons pertinentes, il faudrait rapporter la dette au PIB et à son évolution, et non se contenter des montants bruts qui peuvent donner une vision trompeuse. Ainsi, l'augmentation de plus de 900 milliards d'euros constatée entre 2016 et 2023 paraît considérable, mais elle est moins effrayante quand on souligne que la dette est ainsi passée de 98 % à 110,6 % du PIB, enregistrant une hausse de 12,6 points qui n'a rien d'inédit – elle avait par exemple augmenté de 18,9 points entre 1992 et 1996 et de 26,3 points entre 2007 et 2012. La même remarque vaut pour la charge de la dette : certes, elle pourrait presque doubler entre 2024 et 2027, en passant de 46,3 à 72,3 milliards d'euros, mais si on explique que sa part dans le PIB passerait alors de 1,9 % à 2,6 %, la hausse ne paraît plus si énorme. Ce sont des éléments de comparaison plus pertinents, puisqu'on s'aperçoit que la charge de la dette reste peu élevée et finalement assez proche des niveaux observés il y a vingt ans, voire inférieure.

Par ailleurs, le délai moyen à l'échéance duquel les investisseurs doivent être remboursés est de huit ans et demi, si bien que, comptabilisée comme un flux plutôt que comme un stock – c'est-à-dire en divisant le montant global par huit et demi –, la dette s'établit à 13,7 % du PIB, un niveau beaucoup moins alarmant que les 110,6 % habituellement évoqués.

Pour reprendre l'argument d'Éric Woerth, la dette publique roule. Or depuis des années la France est perçue par les marchés comme un bon emprunteur : elle détient un patrimoine supérieur à 20 000 milliards d'euros, ses actifs dépassent donc largement son déficit, ce qui en fait une valeur sûre pour les investisseurs. C'est pour cette raison que, lorsque j'ai été interrogé sur le risque de dégradation de la note financière de la France par les agences de notation, j'ai répondu que leur décision n'aurait pas d'incidence sur les taux d'intérêt. La dernière levée de fonds engagée par la France a d'ailleurs donné un bon exemple de la confiance que lui accordent les marchés, puisque la demande a été deux fois plus élevée que l'offre.

Selon moi, la dette française n'est donc pas un problème. L'enjeu réside plutôt dans l'objectif qu'on lui attribue que dans le risque qu'elle représente. Il est aberrant d'entendre certains – je ne pense pas que vous en fassiez partie – prétendre que la France est en faillite : c'est tout simplement impossible au vu de l'état actuel de son économie.

C'est d'ailleurs ce que montre l'objectif de ramener le déficit public à 2,9 % du PIB en 2027 qui figure dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Je partage l'avis de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, qui juge ce chiffre peu crédible – je n'irai pas jusqu'à parler d'insincérité. Pour l'atteindre, il faudrait infliger au pays une cure d'austérité telle que notre économie en souffrirait. En réalité, si ce chiffre a été avancé, c'est d'abord parce que la dette sert un projet politique, défendu notamment par la Commission européenne, qui consiste à faire baisser fortement les dépenses publiques et à s'attaquer aux prestations sociales. On le constate avec l'annulation de crédits décidée en début d'année et celle annoncée pour l'an prochain : ce qui se dessine, c'est une attaque contre l'État.

Or si le déficit public a plus augmenté que prévu en 2023, s'établissant à 5,5 % du PIB et non à 4,9 %, ce n'est pas en raison d'une augmentation des dépenses publiques – si l'on excepte celles liées à la crise du covid, que l'on peut considérer comme exceptionnelles –, mais d'un manque de recettes. Sur ce point, je rejoins MM. François Ecalle et Emmanuel Macron. Si le déficit s'est davantage accru en France que dans les autres pays européens depuis 2017, c'est parce que, conformément à la politique voulue et assumée par l'exécutif, nous nous sommes privés d'environ 60 milliards d'euros de recettes. En matière de hausse des dépenses publiques, nous sommes en réalité plutôt bien placés par rapport à nos voisins.

Ce sujet mériterait un débat : on propose systématiquement de réduire la dette en taillant dans les dépenses publiques et en s'attaquant à la protection sociale des Français, alors que, depuis quelques années, l'augmentation du déficit trouve son origine dans une baisse des recettes qui, en outre, avantage plutôt les plus riches de nos concitoyens – les travaux de l'Institut des politiques publiques (IPP) et toutes les études économiques le montrent –, ce qui pose la question du creusement des inégalités.

L'enjeu n'est donc pas de savoir si la dette est légitime, mais à quoi elle sert. Si sa finalité est de faire baisser les impôts, on peut effectivement s'interroger sur son utilité. Quand je dis qu'il serait peut-être bon d'aller chercher l'argent là où il est, c'est-à-dire chez les plus riches de nos actionnaires, on m'explique qu'il ne faut surtout pas augmenter les impôts. Mais je ne milite pas pour augmenter les impôts de tous nos concitoyens : La France insoumise a même avancé des propositions de nature à réduire les impôts de 80 % des Français. Seulement, je pense qu'il faut arrêter de les baisser à mauvais escient et qu'il importe de récupérer une partie des recettes auxquelles nous avons renoncé en supprimant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou en créant la flat tax. Non seulement ces mesures n'ont pas rejailli sur l'économie et n'ont avantagé qu'une minorité de Français – toutes les études le montrent –, mais elles contribuent à creuser les déficits, nous empêchant de consacrer autant de moyens que nécessaire à la transition écologique. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à soulever cette question, puisque M. Mario Draghi lui-même commence à dénoncer la baisse des dépenses publiques et le choix consistant à mener une politique de l'offre centrée sur la baisse du prix du travail.

Vous aurez compris que je ne suis pas favorable à l'augmentation des déficits par la baisse d'impôts, notamment ceux dont s'acquittent les plus riches détenteurs de capitaux.

La troisième question est celle des détenteurs de la dette. Pendant la crise du covid, la Banque centrale européenne (BCE) s'est, à juste titre, exonérée des traités européens en prêtant de l'argent directement aux banques centrales des États membres – ce qu'elle n'avait pas fait pendant la crise des subprimes, au cours de laquelle elle avait prêté aux États, notamment à la Grèce, par l'intermédiaire des banques de second rang. Nous sommes ainsi les détenteurs directs de plus de 20 % de la dette européenne, ce qui constitue une évolution intéressante, car ce système nous exonère de la pression des marchés et nous ouvre la possibilité, si nous le souhaitons, de faire défaut. Je sais que cette éventualité, que j'évoque dans l'ouvrage que vous avez eu la gentillesse de mentionner, peut sembler radicale, mais je rappelle que nous y avons eu recours par le passé dans des moments exceptionnels. Nous avons par exemple décidé d'annuler la dette considérable de l'Allemagne après la guerre. Au lieu de porter la dette comme un fardeau pendant des années, nous pourrions choisir d'alléger cette pression, même si les taux d'intérêt devaient augmenter en conséquence.

Il est donc très intéressant que, d'une manière ou d'une autre, nos banques centrales détiennent la dette, plutôt que le marché – même s'il serait encore préférable qu'elles ne soient pas indépendantes du pouvoir politique, mais ceci est un autre débat. La détention de la dette publique par les marchés est d'ailleurs un phénomène relativement récent, fruit de décisions prises dans les années 1980 qui ont conduit à abandonner le circuit du Trésor grâce auquel la dette appartenait aux États – qui, souverains en matière de politique monétaire, pouvaient procéder à des dévaluations, raison pour laquelle les dettes étaient alors moins élevées. Il faut avoir conscience des risques créés par cet assujettissement au marché, décidé au moment où se constituait le marché unique européen et où se développait la mondialisation financière.

La commission d'enquête gagnerait à s'interroger sur la manière dont nous pourrions redevenir souverains en la matière, d'autant que la dette française présente la particularité d'être détenue, dans une très grande proportion et de façon croissante, par des investisseurs étrangers. L'Italie a lancé des plans d'emprunt populaire ; la dette japonaise, pourtant bien plus élevée que celle de la France, est détenue en grande majorité par les citoyens japonais : nous devrions à notre tour mener une réflexion sur ce point.

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