Le discours péjoratif concernant le cumul des mandats est souvent associé à l'idée d'une professionnalisation de la classe politique, ou d'une gestion notabiliaire, évoquée par Guillaume Marrel. Dans un pamphlet écrit à la fin de la Troisième République, André Tardieu avait déjà parlé de « profession parlementaire ». Une tendance des citoyens à rejeter spontanément la confiscation du pouvoir – le caractère oligarchique de celui-ci que j'évoquais – a donc toujours existé, à toute époque.
Toutefois, l'élite parlementaire doit être pensée en relation avec une autre élite : celle de l'État et de la haute fonction publique, parfois qualifiée, de manière galvaudée, de « technostructure ». Ses membres, que vous côtoyez presque quotidiennement, disposent bien quant à eux d'une longue expérience, même s'ils changent régulièrement de poste au cours de leur carrière administrative et exécutive. Leurs compétences et moyens d'expertise sont nettement supérieurs à ceux du Parlement français, ce qui n'est pas le cas par exemple au Congrès américain.
Faut-il donc que l'élite parlementaire assume de devenir elle aussi une forme de technostructure pour faire face à cette technostructure existante ?
Au regard des études historiques, mon souci n'est donc pas tant celui de la déconnexion des élus à l'égard du terrain. Il serait plutôt de doter le Parlement de ressources, qui peuvent en effet être professionnelles, et qui peuvent manquer par exemple lorsqu'on passe directement des bancs de l'amphithéâtre à la vie politique. Mais la politique est aussi une éducation. Max Weber a en effet introduit cette distinction entre « vivre pour » et « vivre de » la politique, mais le grand modèle qui lui servait de référence était l'élite parlementaire anglaise, par opposition à la situation du Reichstag absorbé par la technostructure du Reich allemand avant la Première Guerre mondiale. Pour Max Weber, la formation élitiste des parlementaires anglais au sein des public schools comme Cambridge et Oxford – au recrutement sociologique encore très peu démocratique – lui permettait de jouer un rôle réel de contre-pouvoir.