Après la dématérialisation des procédures relatives à la carte grise, au permis de conduire, au renouvellement de la carte d'identité, à la réception des prestations sociales et à la déclaration des revenus – c'est d'actualité –, nous débattons aujourd'hui de celle des actes d'état civil des Français établis à l'étranger.
Avant de nous pencher sur le fond, il est utile de s'intéresser à la forme. Il est à noter, ou plutôt à déplorer, que cette proposition de loi soit en réalité un projet de loi déguisé. Elle a été déposée par une sénatrice du groupe de la majorité, permettant ainsi au Gouvernement de ne pas avoir à produire d'étude d'impact ni à demander son avis au Conseil d'État – c'est bien là que le bât blesse.
Pourtant, si la dématérialisation peut apparaître, par sa rapidité, comme une avancée, elle laisse de côté les millions de personnes qui peinent à utiliser les outils numériques. Quelques chiffres le prouvent : 15 % des Français étaient en situation d'illectronisme en 2021 selon l'Insee, et 54 % d'entre eux – un taux en augmentation de 16 points par rapport à 2020 – déclaraient en 2022 faire face à des difficultés dans l'accomplissement de démarches en ligne selon le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). Ces difficultés sont exacerbées dans les territoires d'outre-mer. En février 2020, la Défenseure des droits alertait l'opinion sur les dérives possibles d'une dématérialisation complète des démarches administratives ; elle renouvelait son alerte en février 2022 en rappelant cette réalité : toute dématérialisation s'accompagne d'un transfert de charges administratives vers l'usager et vers l'ensemble des acteurs publics ou associatifs qui l'accompagnent.
S'agissant de l'article 1er , on peut saluer l'abandon de la logique du tout ou rien qui prévalait jusqu'ici en matière de dématérialisation. En effet, il inscrit dans le code civil la dématérialisation de la délivrance des copies et extraits des actes d'état civil établis par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, tout en précisant que la délivrance au format papier reste une possibilité : les usagers pourront toujours demander la délivrance par courrier d'une copie ou d'un extrait, ou solliciter leur impression.
Nous proposons d'inverser cette logique, afin de faire de la délivrance de documents imprimés la norme et non l'exception. Notre amendement vise à conditionner la délivrance sur support électronique des copies et extraits d'actes d'état civil à la demande de l'usager.
L'article 2 proroge, pour la deuxième fois et pour trois ans, l'expérimentation de la dématérialisation de l'établissement, de la mise à jour et de la conservation des actes d'état civil. D'abord, l'expérimentation a accusé un retard important et, n'ayant pas pu être pleinement déployée, n'a pas pu être correctement évaluée. Rappelons ensuite que l'expérimentation devait prendre fin le 10 juillet 2022 et qu'elle a déjà été prorogée jusqu'au 10 juillet 2024. Le fait qu'on ne nous demande de valider une nouvelle prorogation qu'en juin 2024 atteste du manque d'anticipation du Gouvernement.
On peut saluer la décision du Sénat de conditionner cette deuxième prorogation à une transparence accrue de la part du Gouvernement. Chaque année, et lors d'un débat en sa présence, ce dernier devra présenter à l'Assemblée des Français de l'étranger l'état d'avancement de l'expérimentation et son bilan provisoire. Nous proposons que pendant la durée de prorogation, l'état d'avancement et le bilan annuel soient également transmis au Parlement.
Enfin, nous rappelons avec force que si la dématérialisation peut améliorer la qualité du service rendu, elle ne doit pas être dictée par la recherche d'économies, sauf à ne pas être acceptée et, surtout, à ne pas être efficace. Or, alors même que dans tous les consulats, les équipes sont sous tension, onze ETP ont été supprimés en 2021 et le ministère prévoit d'en supprimer vingt de plus. Ces suppressions de moyens humains ont lieu alors que les antennes physiques manquent dans beaucoup des pays où nos ressortissants sont établis. Ces pays sont parfois deux ou trois fois plus grands que l'Hexagone, si ce n'est davantage, et ne garantissent pas toujours un accès stable et sécurisé à internet.
La numérisation n'est qu'un outil et ne saurait être un but en soi. La relation que le service public entretient avec ses usagers, où qu'ils se trouvent, doit demeurer tangible. Si ce texte va plutôt dans le bon sens – notamment grâce aux améliorations qui lui ont été apportées au Sénat –, il nous semble que certaines garanties en matière de transparence et d'accès aux services physiques sont encore insuffisantes. En l'état actuel des choses, le groupe GDR s'abstiendra.