De l'affaire Pegasus aux kompromats russes, toutes les ingérences étrangères ont pour objectif de porter atteinte à nos démocraties. Avant d'être révélées au grand jour, elles déstabilisent notre vie politique et peuvent mettre en danger nos concitoyens. Je pense en particulier au réseau de désinformation russe Doppelgänger, à l'origine notamment des étoiles de David taguées sur des murs de Paris et en proche banlieue. Il y a quelques jours encore, alors que notre société se fracture au sujet du conflit israélo-palestinien, l'organisme de lutte contre les opérations d'influence, Viginum, a démontré que les mains rouges apposées sur le mur des Justes cachaient en réalité une manœuvre de déstabilisation russe.
Il est donc nécessaire de prendre des mesures d'urgence, en particulier en cette année où la France accueille les Jeux olympiques et paralympiques, dans un contexte géopolitique européen plus qu'incertain.
Ces ingérences sont dangereuses pour la démocratie et, plus encore, pour la cohésion nationale. Toutefois, elles ne peuvent pas être combattues en fragilisant notre État de droit. Je pense ici à l'article 3 de la proposition de loi, qui constitue une grave atteinte aux libertés. En effet, cet article renforce la surveillance des opérations d'ingérence en autorisant les services de renseignement à expérimenter la détection par algorithmes des activités suspectes en ligne. Cette technique de renseignement dite de l'algorithme, ou « boîte noire de renseignement », a été instaurée par la loi relative au renseignement de 2015.
Eu égard à son caractère liberticide, cette mesure avait été initialement limitée à la stricte lutte contre le risque terroriste. En modifiant le code de la sécurité intérieure, ce texte élargit cette technique de renseignement à de nouvelles finalités : l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire, la défense nationale ; les intérêts majeurs de la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère. L'élargissement des finalités permettant aux services de renseignement de recourir à l'usage de techniques algorithmiques demeure, en l'état actuel de la rédaction, trop vague et peut donc permettre d'utiliser ces techniques pour révéler des activités sans aucune relation avec les enjeux de défense.
De fait, l'inclusion des finalités d'indépendance nationale ou d'intégrité du territoire doit nous alerter sur la possibilité d'utiliser ces techniques de renseignement à l'encontre de groupements politiques ou associatifs, ou de militants qui défendent des causes diverses, en se positionnant par exemple contre des accords de libre-échange, des projets pétroliers, des ventes d'armement à certains pays ou plus encore.
Nous savons combien l'utilisation de dispositifs exceptionnels, sans contre-pouvoir, est susceptible de porter atteinte aux libertés fondamentales. Les dérives constatées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ont été largement documentées par le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Cela devrait éclairer nos débats. Il est important de rappeler que nombre de mesures prévues dans le cadre de l'État d'urgence ont été successivement intégrées dans le droit commun. Ce fut le cas des dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Si les mesures de surveillance algorithmique apparaissent comme des solutions envisageables dans un contexte de résurgence des conflits interétatiques dans le territoire européen, nous pouvons craindre que, comme toutes les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, elles soient pérennisées et inscrites dans le droit commun, manifestant ainsi la dérive autoritaire et répressive de l'État.
Enfin, nous devons signaler que l'une des principales limites de l'article réside dans l'absence de toute étude d'impact de ce dispositif sur le secret des sources des journalistes et sur le respect des libertés politiques des citoyens. Sur la forme, cette absence est d'autant plus grave que le Parlement n'a pas encore eu l'occasion d'examiner le rapport sur la mise en application de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, qui sera remis en juillet 2024.
En somme, la prévention des ingérences étrangères doit se faire dans le cadre du droit commun applicable à tous les types d'influence sur l'action publique. Des régimes autocratiques ou illibéraux profitent de cette lutte légitime pour museler l'opposition politique et pénaliser avant tout la société civile et les contre-pouvoirs. N'empruntons pas la voie qu'ils ont tracée.
Certains de nos compatriotes se disent qu'après tout, ils n'ont rien à se reprocher et que, par conséquent, cela ne les dérange pas. Ils doivent comprendre que, par ce genre d'autorisation, nous ouvrons une boîte de Pandore qu'il sera impossible de refermer. Ce sont nos libertés fondamentales qui sont en jeu. Ne laissons pas la dystopie devenir réalité. Le groupe GDR votera donc contre ce texte.