À quelques jours des élections européennes, avec votre finesse coutumière d'éléphant en goguette dans un magasin de porcelaine, vous nous infligez donc ce texte indigent pour faire mine d'agir contre la Russie et la Chine, vous donner le beau rôle et, joie suprême, éventuellement hurler à la mort contre ceux qui ne joueraient pas votre petit jeu.
Je regrette, mais ce genre de manœuvre n'a qu'un temps : personne n'est dupe – à part peut-être quelques propagandistes officiant, à l'abri d'une carte de presse, pour Bolloré, Dassault ou quelque autre sponsor milliardaire.
Des deux mesures de ce texte, l'une prêterait à sourire si elle ne représentait une grave menace sur la vie démocratique – j'y reviendrai –, l'autre est tout bonnement effrayante.
Comme ce texte est d'initiative parlementaire, il ne fait l'objet d'aucune étude d'impact, alors qu'il touche un sujet fondamental, puisqu'il ouvre aux services de renseignement la possibilité de pratiquer un espionnage numérique de masse de la population française. Année après année, la liste des cas dans lesquels il est possible de recourir à des techniques spécialement intrusives et attentatoires aux libertés ne cesse de s'allonger. Ce qui devait n'être qu'une exception, autorisée dans le seul cadre de la lutte antiterroriste, continuera à se banaliser : étendues par ce texte à la lutte contre l'ingérence, ces mesures le seront sans doute, dans quelque temps, à la lutte contre le crime organisé et, de proche en proche, nous finirons tous par être traités comme des terroristes en puissance, privés de nos droits fondamentaux.
Pour dissimuler votre pente liberticide, vous avez donc choisi une méthode qui vous dispense de présenter l'avis du Conseil d'État. Venant de vous, cela n'a plus rien de surprenant : nous savons bien que l'intimidation, la surveillance et la répression sont désormais les fondamentaux du macronisme. François Sureau lui-même, rédacteur des premiers statuts du parti En Marche, l'avait esquissé dès septembre 2019 dans un libelle intitulé « Sans la liberté ». Depuis, le confinement et la pantalonnade des autoattestations, les innombrables manifestations d'arbitraire – interdictions de manifester, recours à la technique de la nasse, gazages et autres brimades – n'ont sûrement pas attendri son diagnostic.
Vous voulez créer un nouveau registre, confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans lequel s'inscrirait toute personne travaillant au service d'une puissance étrangère. Quelle drôle d'idée !