Nous examinons le texte élaboré par la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Fruit d'un long travail parlementaire, ce texte vise à mieux armer notre pays contre la menace grandissante que représentent les ingérences étrangères. Il traduit les propositions législatives formulées par la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), dans son rapport rendu public en novembre 2023. Il s'est également nourri des nombreux constats formulés dans le rapport de la commission d'enquête relative aux ingérences politiques, que j'ai eu l'honneur de présenter en juin 2023.
Ce texte est structuré autour de trois axes. Premièrement, il vise à renforcer la transparence en matière d'influence étrangère, grâce à la création d'un répertoire retraçant les opérations d'influence menées dans notre pays au nom de puissances ou d'entités étrangères. Ce répertoire sera rendu public et géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Le non-respect des obligations d'enregistrement de la représentation d'intérêts étrangers sera assorti de sanctions pénales. Le dispositif s'inspire du Foreign Agents Registration Act (FARA) américain, en vigueur depuis 1938, et qui a inspiré des législations récentes au Royaume-Uni, au Canada et en Australie.
Deuxièmement, le texte cherche à améliorer l'information du Parlement et du grand public sur les risques et la réalité des ingérences étrangères, grâce à la remise régulière d'un rapport du Gouvernement au Parlement et à l'organisation d'un débat dans chacune des chambres.
Troisièmement, le texte tend à élargir et à renforcer les outils mis à la disposition des services de renseignement pour mieux contrer les opérations d'ingérences étrangères. Il autorise ainsi le recours expérimental à la technique dite de l'algorithme, afin de détecter les opérations d'ingérence. Il étend aussi les mesures administratives de gel des avoirs, applicables en matière antiterroriste, aux personnes ayant commis des actes d'ingérence.
Lors de l'examen en première lecture, les 26 et 27 mars, nous avons adopté plusieurs modifications visant à rendre le dispositif plus efficace et à le sécuriser juridiquement. De son côté, le Sénat s'est attaché à préciser et à compléter le texte, sans en changer l'esprit. Il a apporté des enrichissements utiles, notamment en créant une circonstance aggravante, lorsqu'il est attenté aux biens ou aux personnes dans le but de servir les intérêts d'une puissance étrangère. Cette rédaction permet d'appréhender un large spectre de faits d'ingérence étrangère, tout en conservant l'équilibre du code pénal. Le Sénat a également souhaité permettre l'expérimentation d'algorithmes en cas de menace pour la défense nationale. Cet élargissement – limité – paraît nécessaire et proportionné pour lutter contre certaines menaces, en particulier les cyberattaques commanditées depuis l'étranger. Je me réjouis que le Sénat, en parallèle, ait renforcé le contrôle parlementaire sur l'application de cet article.
Je souhaite saluer les votes convergents de nos deux assemblées, qui, en première lecture, se sont prononcées très largement en faveur de cette proposition de loi. Ce vote témoigne de constats partagés et d'une vision commune de la direction à prendre. Le texte élaboré par la CMP traduit cette volonté de compromis et de coconstruction, tout en préservant les enrichissements apportés par nos deux chambres et en améliorant la cohérence de l'ensemble. Il restait quelques divergences techniques ; la commission mixte paritaire s'est attachée à les dépasser. À ce titre, je souhaite remercier la rapporteure de la commission des lois du Sénat, Mme Agnès Canayer, également membre de la DPR, pour la qualité de nos échanges.
Nous nous sommes accordés pour fixer la date d'entrée en vigueur du nouveau répertoire au 1er juillet 2025, ce qui nous laisse le temps de voter l'octroi de moyens supplémentaires à la HATVP. Nous avons conservé la disposition, introduite par les sénateurs, qui renforce le contrôle des reconversions des anciens ministres, membres d'autorités administratives indépendantes et élus locaux – celui-ci s'exercera sur les cinq années qui précèdent le début de l'activité, contre trois ans dans le droit commun. Enfin, nous avons maintenu les précisions que les sénateurs ont apportées au dispositif de gel des avoirs.
Nous considérons que le texte issu des conclusions de la CMP est à la fois équilibré et respectueux de la volonté des deux chambres et souhaitons qu'il soit largement adopté par notre assemblée.