Comment peut-on penser que la question sociale, si structurante, s'évanouirait au moment où l'on est le plus fragile et le plus vulnérable ? Quand on a vécu une vie de travail, parfois pénible et mal rémunéré, et traversé des périodes de chômage, comment peut-on penser qu'une telle vie ne pèse en rien sur les derniers instants ? Nous pouvons toutes et tous être frappés par une maladie grave, mais nous sommes inégaux devant les maladies professionnelles et environnementales. Quand on vit dans un appartement inadapté au quatrième étage sans ascenseur, ou quand on n'a pas accès à tous les soins possibles en raison du reste à charge, comment considérer que les conditions matérielles d'existence sont quantité négligeable dans les décisions prises en fin de vie ?
Dans les villes comme dans les campagnes, l'isolement est un défi posé à notre société. La solidarité populaire et familiale a beau être formidable, la question sociale s'invite jusqu'au bout – et ne s'inviterait-elle que pour une seule personne, il serait éthiquement inacceptable de l'ignorer. La loi pourra-t-elle empêcher que les conditions de vie suscitent des demandes d'aide à mourir ? On ne pourra pas faire le tri des considérations menant à une telle requête. La prise en charge des souffrances, couplée à un accompagnement humain adéquat, peut au contraire changer la donne.
L'existence de cette loi conduira chacun à se demander s'il ne devrait pas se dérober aux regards avant la fin – elle engage tout le corps social. Je sais que mon discours est difficile à entendre. S'il y a matière à débat pour tous, quel sera l'impact d'une telle loi sur les plus vulnérables, les plus isolés, les plus découragés ? L'absolue liberté qu'on nous promet est une fiction.