M. Stéphane Buchou, vous abordez deux questions dont les alliances industrielles publique-privée et le fonds de souveraineté. Nous avons écrit ce rapport avant le discours de la Sorbonne du président Macron en avril 2024. Le président Macron met en avant, dans ce discours, l'importance d'investir massivement dans la recherche, le développement et l'industrialisation. Il s'agit d'une vraie faiblesse de l'Union européenne, car nous disposons d'une politique adéquate pour former nos chercheurs, mais nous sommes en difficulté pour monétiser et mettre en place les productions industrielles. Le président Macron estime entre 600 et 1 000 milliards d‘euros le montant des investissements à réaliser chaque année. Soit nous choisissons une stratégie comme Israël, de spécialisation et dans ce cas-là nous aurons une souveraineté partielle, soit nous décidons d'investir pour défendre notre souveraineté globale.
Je souhaite ensuite vous répondre sur le volet financement. Aujourd'hui, nous avons un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne. Il s'applique sur les matières premières, mais pas sur les produits finis. Je crois que nous avons là un axe de travail. Cela permettrait que les entreprises extra-européennes, qui ne respectent pas nos normes, financent les entreprises européennes qui respectent les normes environnementales.
M. Thibault François, je vais reprendre votre phrase « respect de la souveraineté nationale et des peuples ». Vos propos étaient peut-être valables il y a plusieurs décennies de cela mais le monde a évolué ainsi que les besoins en financement. Mon collègue, député sous la précédente législature, Cédric Villani a mis en place un plan d'investissement pour l'Intelligence artificielle avec 1,5 milliard d'euros sur cinq ans. Dans le même temps, les GAFA investissent près de 15 à 20 milliards d‘euros par an. Nous avons donc besoin d'investissements dont nous n'avons pas les moyens individuels. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut sacrifier notre souveraineté, mais elle passera par un accord avec d'autres pays membres de l'Union européenne.
Il existe aujourd'hui deux pôles économiques importants dans le monde : les Etats Unis, qui sont nos alliés mais pas nos amis, et la Chine qui n'est ni notre alliée, ni notre amie. Nous devons donc trouver une position indépendante entre les États-Unis et la Chine. Nous ne pouvons le faire que collectivement car individuellement nous sommes un grand pays dont la taille du marché n'est pas suffisante.
Mme Karamanli souligne l'importance du marché intérieur pour conserver notre souveraineté. Si nous voulons exercer une certaine pression sur une entreprise comme Amazon ou Facebook, quelle est notre capacité de faire fléchir ces entreprises ? La France n'aurait qu'un pouvoir limité en restreignant l'accès au marché français là ou l'Union européenne a une capacité de pression beaucoup plus importante. Le rapport de force nous permet de négocier. L'Europe doit donc se transformer non pas pour imposer sa vision aux deux entités citées, mais pour défendre ses intérêts. Cela ne passe pas par un repli sur soi mais par une réciprocité. Il n'est pas acceptable aujourd'hui que certaines entreprises européennes ne bénéficient pas des mêmes règles que les entreprises chinoises. Nous ne pouvons pas accepter que l'accès à certains marchés comme en Chine soit limité alors que les entreprises chinoises peuvent commercer en Europe. Nous ne devons pas rentrer dans une guerre commerciale telle que Donald Trump a pu le faire par le passé. Cependant, nous devons mettre en place une réciprocité.
Vous parlez d'accroître les débouchés. C'est le marché européen qui permettra de les accroître si l'on s'assure que la concurrence est juste vis-à-vis des entreprises chinoises et américaines. Les entreprises françaises et européennes ne sont pas subventionnées comme peuvent l'être les entreprises américaines et chinoises.
Vous parlez enfin, d'investir massivement dans les ressources humaines et vous proposez de faire de la formation dans l'industrie à l'échelle européenne. Cela existe déjà, aujourd'hui : le jeune député en face de vous est parti en 2005 en Angleterre, avec un financement européen au sein d'un cursus d'apprentissage dans l'industrie. Ces financements ne sont cependant pas suffisamment connus et importants. J'entends dire qu'avec Donald Trump, les relations commerciales sont devenues compliquées, mais je rappelle que l'extraterritorialité des lois américaines a été développée par les démocrates. Richard Nixon affirmait dans les années soixante-dix que « le dollar est notre monnaie et votre problème ». Nous pouvons avoir des dissensions avec les Italiens et les Allemands, mais l'alternative de la dépendance à la Chine et aux États-Unis passe par une indépendance européenne.
Ceux qui vous font croire que cela sera possible en dépensant des centaines de milliards d'euros pour défendre nos entreprises mentent. Cela doit passer par un projet européen.
M. Mariani, sur l'extraterritorialité du droit américain, j'ai apporté des éléments de réponse. Je n'ai aucun doute que le Rassemblement National soutiendra la proposition figurant dans le rapport de créer un « legal privilege » pour permettre aux entreprises de disposer d'un juriste en leur sein. Je n'ai pas de problème pour appliquer le principe de l'extraterritorialité du droit européen en cas d'utilisation de l'euro.