Les groupes politiques pourront toujours abonder ce rapport, qui n'a pas vocation à avoir une conclusion aujourd'hui. L'idée est plutôt de le faire vivre dans les mois à venir, selon les « fenêtres » qui se présenteront. Comme nous l'avons toujours dit, nous pourrons ensuite mettre une boîte à outils à disposition des collectivités et des acteurs du logement qui, selon l'endroit et la situation, n'ont pas toujours la réponse au niveau national. Ce travail de réflexion est par ailleurs largement inspiré des conclusions du CNR, qui avait déjà largement ébauché ce travail.
Le problème du logement n'est pas nouveau. Il ne remonte pas seulement à 2017, mais à plusieurs décennies : pour avoir été au sein du ministère du logement à partir de 1996, nous constations à chaque début d'année que la production avait été insuffisante par rapport aux objectifs. Différents gouvernements se sont succédé depuis 1995, de diverses sensibilités, avec l'efficacité que chacun connaît.
L'objectif ici n'était donc pas de remonter les problèmes, ce qui a déjà largement été fait, mais plutôt d'apporter des solutions consensuelles et qui permettent de tenir compte de toutes les spécificités, que l'on se situe à Dunkerque, dans le sud ou dans l'ouest de la France. Tel est le travail que nous avons réalisé, tout en ayant bien conscience de la crise qui se profilait, accélérée par les taux d'emprunt et le taux d'inflation, mais aussi par la difficulté croissante de pouvoir mener à bien un projet face à tous les recours. Enfin, nous constatons un énorme problème de confiance, car il est aujourd'hui plus facile de boursicoter devant son écran plutôt que d'investir dans le logement. Nous devons aussi travailler à y remédier.
Il me revient donc de vous présenter les principales conclusions de la mission d'information sur l'accès des Français à un logement digne et à la réalisation d'un parcours résidentiel durable, créée sur le fondement de la décision prise par la conférence des présidents à la demande du groupe Démocrate.
Ces travaux ont été conduits dans un contexte propice, marqué par l'urgence forte de renouer avec une véritable politique du logement. Ils font suite à la concertation impulsée par le CNR et aux démarches initiées en 2022 par les ministres Christophe Béchu et Olivier Klein. Ce chantier a permis d'élaborer un diagnostic solide de l'état du logement en France, en distinguant les aspects conjoncturels et structurels, et a débouché sur plusieurs conclusions consensuelles.
Nous nous sommes appuyés sur de nombreux rapports et études publiés récemment, comme les propositions de l'Association des maires de France, le rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, ou encore les propositions d'une importante mission d'information de la commission des finances, qui ont été présentées en juillet dernier par nos collègues Daniel Labaronne et Charles de Courson.
Bien que variés dans leurs conclusions, tous partagent un même refus de nier plus longtemps qu'il existe bel et bien une crise du logement en France et qu'il ne faut plus se contenter de demi-mesures.
La première partie du rapport est consacrée à rappeler des chiffres qui attestent de différents blocages, tant du côté de la demande que de l'offre.
On peut citer notamment la hausse continue des coûts d'accès à la propriété, multipliés par 2,5 en vingt ans, ainsi que des coûts des loyers, avec une hausse moyenne de deux points du taux d'effort des ménages. Ce dernier est d'ailleurs nettement plus élevé pour les ménages les plus modestes, ce qui conduit à une pression considérable sur le secteur du logement social, lequel peine à répondre aux demandes urgentes.
Symétriquement, l'offre de logements est structurellement insuffisante, avec un niveau historiquement bas de production de logements neufs, inférieur de cent mille unités au niveau atteint en 2009. Surtout, le parc existant de 38 millions de logements est inadapté aux besoins, trop de logements n'étant plus proposés comme résidence principale, mais comme résidence secondaire ou loués pour de courts séjours, sur fond de hausse continue de la part de logements vacants.
En conséquence, l'offre de logements est aujourd'hui mal adaptée aux différentes étapes du cycle de vie, ce qui conduit à bloquer le parcours résidentiel, alors que le besoin en logement diffère pour un étudiant, un jeune actif, un ménage avec enfant ou une personne âgée. Ces différentes étapes sont les différentes barrières rencontrées lorsqu'il s'agit de trouver un logement.
Pour répondre à ces enjeux, nous présentons trente-cinq recommandations déclinées en trois grandes orientations : une approche des politiques du logement en fonction des territoires et des parcours résidentiels, un choc de l'offre et un choc de trésorerie en faveur du logement social et abordable et enfin une fiscalité immobilière plus juste et plus efficace et qui doit évoluer.
En premier lieu, il faut doter les acteurs locaux du logement de tous les leviers pour favoriser une meilleure adéquation entre les besoins résidentiels réels des habitants et l'offre de logements disponibles. Nous proposons que les besoins réels en logement soient affinés au niveau territorial, ce qui n'est pas assez le cas aujourd'hui, et de confier davantage de responsabilités aux intercommunalités, par le statut d'autorité organisatrice de l'habitat.
En effet, pour améliorer le parcours résidentiel à chaque étape de la vie, il est primordial de définir les objectifs de logement en fonction du territoire, mais également de la typologie et de l'évolution de la démographie de ce territoire. À cette fin, il faut doter les acteurs locaux d'une boîte à outils complète, en favorisant une plus grande différenciation des politiques du logement.
Il faut doter les collectivités des moyens leur permettant de disposer d'une ingénierie adaptée à différents niveaux, en matière d'urbanisme – afin de développer des projets innovants alliant la construction et la sobriété foncière –, en matière économique – car il n'est pas possible de séparer les politiques du logement et les politiques d'attractivité économique –, en matière d'emploi, de réindustrialisation ou encore d'appui à la rénovation énergétique et à l'amélioration du parc existant. Trop longtemps, ces différents domaines ont été « travaillés » en silo, alors qu'il existe entre eux une liaison essentielle qu'il est important de raccourcir, pour éviter des déplacements coûteux.
La question de la décentralisation de la politique du logement va donc très au-delà de la seule question du rôle des collectivités dans les procédures d'attribution des logements sociaux portée par le projet de loi présenté récemment en conseil des ministres. Nous considérons que ce sujet devra trouver sa place dans les débats parlementaires à venir.
En outre, il est crucial de mieux prendre en compte le surcoût de charges occasionnées aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale qui mènent des politiques actives de logement et de rénovation énergétique. Nous proposons donc de réinstaurer un bonus pour les maires bâtisseurs. Cette proposition figure en bonne place dans les conclusions du CNR Logement, lequel propose d'accorder un bonus aux maires engagés, sous la forme d'une aide forfaitaire d'un montant calculé sur le nombre moyen de logements construits ou transformés au cours des années précédentes. Le montant de l'aide s'accroîtrait avec le caractère social du logement produit.
Nous proposons également d'ajuster le calcul des dotations financières des collectivités territoriales, pour refléter de manière plus juste les investissements significatifs qu'elles réalisent dans les domaines du logement et de l'urbanisme.
Notre deuxième série de propositions vise à mobiliser tous les leviers qui favorisent l'offre de logements abordables, tant dans le parc social que dans le secteur libre. Il est urgent aujourd'hui de rendre au secteur social les moyens financiers de produire du logement abordable. Faute d'un soutien public à la hauteur des enjeux, la capacité d'investissement des organismes HLM sera entièrement absorbée par leurs obligations d'entretenir leur parc existant et d'assurer sa rénovation thermique. En revanche, la production de nouveaux logements ne sera qu'une variable d'ajustement.
Nous proposons donc de revenir sur les effets défavorables de la réduction du loyer de solidarité, afin de restituer aux organismes HLM une capacité d'investissement supplémentaire d'environ 1,3 milliard d'euros (Md€). Cette mesure permettrait de relancer significativement la construction de nouveaux logements sociaux. L'enjeu nous paraît beaucoup plus structurant que les oppositions caricaturales entre logement intermédiaire et logement social.
Nous proposons d'étendre le taux réduit de TVA à l'ensemble de la production de logements sociaux et conventionnés, alors qu'il est aujourd'hui réservé à certains logements très sociaux et aux opérations menées dans le cadre de plans de rénovation urbaine. On pourra nous opposer l'incidence budgétaire de ces mesures. Mais il faut rappeler qu'un logement est un bien de première nécessité. Il faut aussi prendre en considération que les pertes de recettes qui résultent de l'insuffisance actuelle de la production de logements sont très importantes et qu'il vaut mieux une production élevée de logements à laquelle est appliquée une TVA réduite, qu'une production faible supportant une TVA plus élevée.
Par ailleurs et comme l'ensemble des acteurs, nous préconisons le maintien dans la durée des financements à taux bonifié accordés par la Banque des territoires, en veillant à préserver une part substantielle de ces fonds pour la rénovation thermique des logements. Nous ne pouvons pas continuer à entendre que l'effort consenti en faveur de la rénovation thermique impacte la production de logements, alors qu'on peut organiser des mécanismes qui permettent que cette part devienne moindre – dès lors qu'on sait qu'une rénovation thermique n'est pas réalisée pour dix ans, mais bien pour trente ans ou quarante ans, sur les bâtiments qui sont amenés à être rénovés.
Enfin, le logement abordable doit permettre de lever des freins à la mobilité professionnelle, par une meilleure adéquation entre les lieux de travail et la résidence. Nous invitons donc à améliorer l'offre de services d'Action logement, pour renforcer l'appariement offre-demande sur le marché de travail et le lien entre l'emploi et le logement. Il faut rappeler que le « 1 % logement » a été fragilisé ces dernières années par la réduction de son assiette et par des prélèvements budgétaires de l'État. Alors qu'Action logement s'est largement réformée, nous proposons, à rebours des tendances passées, de renforcer son offre de services envers les salariés des PME. Cela nécessitera d'assujettir l'ensemble des entreprises de plus de dix salariés à la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), comme cela a pu être le cas dans un passé encore récent. Beaucoup d'entreprises déclarent aujourd'hui être confrontées à un problème de recrutement au regard de l'enjeu du logement : il faut rassembler tous les acteurs autour de la table pour apporter des solutions plutôt que de remonter des problèmes.
De même, il est essentiel de développer, pour les agents publics, une offre de services comparable à celle d'Action logement. Nous proposons la mise en place d'un fonds permettant d'investir dans le logement social pour les agents publics et de nouer des partenariats avec les bailleurs sociaux ainsi qu'avec Action logement.
En parallèle, nous proposons d'assortir la hausse du financement des logements sociaux de nouvelles garanties tenant à l'organisation de parcours résidentiels, à la mobilité des locataires et à la gestion du parc existant.
Ces dernières semaines, les débats se sont focalisés abusivement sur la question de locataires HLM « trop riches », ce qui est une façon réductrice d'aborder la question de la mobilité dans le parc social : on ne peut pas, d'un côté, soutenir la mixité sociale et, de l'autre, rompre dès lors qu'elle existe. L'enjeu principal porte sur les occupants vieillissants qui, une fois les enfants partis, se trouvent dans des logements trop grands, mais auxquels il est aujourd'hui difficile d'offrir un logement plus petit dans des conditions financières satisfaisantes. Nous proposons donc d'inciter les locataires en situation de sous-occupation à accepter un logement plus petit, mais avec des contreparties financières comme la garantie d'une absence de hausse de loyer et la prise en charge de certains frais de déménagement, sous conditions de ressources. Je crois que le président Stéphane Peu a porté cette idée et qu'il l'a appliquée dans sa propre commune, il y a déjà quelques années.
La question du logement abordable ne se limite pas à celle du secteur social. Il faut lever les freins qui peuvent dissuader les particuliers propriétaires de mettre en location un logement, notamment au regard des risques d'impayés. Deux chiffres illustrent parfaitement cette situation : 56 % des Français sont propriétaires et deux tiers d'entre eux n'ont plus recours à un emprunt. Il y a là une épargne mobilisable, mais à laquelle il faut offrir des garanties en contrepartie. Nous proposons de conforter les acteurs territoriaux de l'information sur le logement, de promouvoir les mécanismes d'intermédiation et de garantie locatives, comme le dispositif Visale, et d'engager une réflexion visant à mettre en place une garantie universelle des loyers.
Enfin, notre dernière série de propositions vise à une grande réforme fiscale, afin d'accroître la mise à disposition de résidences principales et de faciliter ainsi le parcours résidentiel.
Un travail récent et important du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a établi que les prélèvements fiscaux sur le logement représentent près de 92 Md€, intervenant à différentes étapes du cycle de vie du logement : la construction, l'acquisition, la rénovation, la détention, la location et enfin la cession. À recettes publiques globales inchangées, il est possible de redéployer une partie significative des prélèvements, afin de rendre cette fiscalité plus juste et moins pénalisante pour la construction et l'utilisation des logements.
Nous proposons d'abord d'alléger massivement la fiscalité sur les primo-accédants. Dans le neuf, il convient d'étendre à l'ensemble du territoire le taux préférentiel de TVA (5,5 %) pour les primo-acquéreurs sous condition de ressources, qui est aujourd'hui réservé aux quartiers de la politique de la ville. Dans l'ancien, nous proposons une mesure similaire en réduisant les taux des frais de notaire et des droits de mutation à titre onéreux, sous condition de ressources des acquéreurs et dans la limite de certains montants de transactions – avec compensation par l'État de la perte de recettes pour les départements.
Dans le neuf comme dans l'ancien, nous proposons le dézonage généralisé à l'ensemble du territoire national du prêt à taux zéro, attribué également sous condition de ressources. À titre personnel, je propose aussi d'examiner la piste d'une réduction du taux de TVA pour les travaux de rénovation engagés par les primo-accédants dans l'ancien, le cas échéant sous condition d'amélioration de la performance énergétique. Cela favoriserait ainsi l'optimisation et la rénovation du parc existant. Cette mesure nationale engendrerait un effet d'entraînement sur les initiatives des collectivités territoriales en appui à la rénovation énergétique du parc privé, sous la forme de conseils et d'aides à l'ingénierie.
De façon générale, nous considérons que la fiscalité doit frapper plus lourdement les comportements qui détournent les logements d'une occupation en tant que résidence principale et, inversement, récompenser les bailleurs vertueux qui facilitent la mise en location de longue durée de biens rénovés. La mise en location d'un logement n'est pas une rente, mais elle correspond à une activité productive, utile à la société, avec souvent plus de risques et des rendements moindres que certains placements financiers.
Nous proposons donc d'établir un régime fiscal plus favorable aux revenus fonciers sous condition de durée de location, de niveau de loyer et de performance énergétique. Nous reprenons également une proposition présentée par notre collègue Jean-Paul Mattei et visant à créer un statut de l'investisseur immobilier, avec application du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus fonciers bruts, en contrepartie d'un engagement de plus d'un an de location du bien immobilier, d'un encadrement des loyers et d'un bon niveau de performance énergétique. Une telle mesure simple et visible constituerait une alternative avantageuse aux différentes incitations fiscales qui se sont succédé dans le temps sous forme d'un amortissement fiscal ou d'une réduction d'impôts spécifique en faveur de l'investissement locatif dans le logement neuf, parfois avec des effets pervers.
Parallèlement, nous invitons à mettre fin, sans tarder, aux avantages fiscaux dont bénéficient les locations meublées touristiques de courte durée, dont nous connaissons les effets d'éviction sur les résidents et les salariés dans les centres des métropoles et les zones marquées par le « sur-tourisme ». La proposition de loi de nos collègues Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz est une première étape en ce sens et il faut que son examen parlementaire aille à son terme. Il faudra aussi aller plus loin, en supprimant progressivement les distinctions entre locations meublées et non meublées, et entre locations meublées professionnelles et locations meublées non-professionnelles, comme l'a récemment proposé le conseil des prélèvements obligatoires.
Pour inciter les propriétaires à remettre sur le marché des logements inutilisés (ou sous-utilisés), nous proposons également de continuer à moderniser la fiscalité des logements vacants et des résidences secondaires.
Pour stimuler la mise sur le marché des biens immobiliers, nous proposons de réformer la fiscalité sur les plus-values immobilières, en supprimant le système d'abattement pour durée de détention. Nous proposons de le remplacer par une actualisation de la valeur d'acquisition du bien selon l'inflation ou le coût de la construction. Cela permettrait de déterminer l'impôt sur la plus-value de manière plus équitable et de décourager les comportements de rétention immobilière.
Enfin, il est impératif de ne pas manquer l'occasion majeure qui se présente pour les finances publiques locales et pour le financement des politiques du logement en raison des effets du « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui accroîtra mécaniquement la valeur des terrains constructibles et donc la rente dont bénéficient leurs propriétaires. Nous proposons de faire bénéficier les collectivités d'un « choc de trésorerie » en taxant beaucoup plus fortement les plus-values foncières résultant du ZAN et en attribuant le rendement principal au bloc communal, fléché vers des dépenses d'aménagement et d'aide à la construction de logements. Nous appelons à ce que le projet de loi de finances pour 2025 comprenne un « paquet fiscal » complet dans le domaine du logement et que le Parlement puisse s'en saisir, sans que le débat soit prématurément interrompu.
Une réforme d'ensemble de la fiscalité du logement offrirait une occasion majeure d'être à la hauteur de la crise du logement, tout en procurant des ressources publiques et en taxant plus lourdement les comportements de rétention foncière et de spéculation.
Les travaux de cette mission d'information témoignent, après bien d'autres, du fait que le secteur du logement est confronté à des défis nombreux et complexes, mais ils permettent également d'acquérir la conviction que ces difficultés ne sont pas insurmontables. Avec un engagement ferme des parties prenantes, une volonté d'innover et de réformer et un suivi des progrès réalisés, nous pouvons transformer notre système de logement pour mieux servir les Français.